BFM Business
International

Derrière l'épidémie de coronavirus, le spectre d'une nouvelle grande crise de la dette

-

- - Pixabay

Les faibles taux d'intérêt de l'après-crise de 2008 ont incité les entreprises à s'endetter à peu de frais. Selon Moody's, le volume des dettes des entreprises atteint 32.000 milliards de dollars rien que dans la région Asie-Pacifique. Sans compter l'augmentation inquiétante des prêts risqués aux Etats-Unis.

Le cœur de l'épidémie du coronavirus est en Europe. Mais une nouvelle crise financière est-elle en train de germer en Asie? C'est une inquiétude qui est en train d'enfler, à mesure que les perspectives sur l'économie mondiale se font de plus en plus sévères. Car 2020 devrait bien être l'année de la récession, entraînant avec elle son lot de faillites d'entreprises.

Si en Europe, la priorité est justement d'éviter ces défaillances, quoi qu'il en coûte pour paraphraser le président français Emmanuel Macron, ce n'est pas forcément le cas en Asie-Pacifique où la mesure de l'impact de la crise reste encore à être déterminé. Une chose est sûre: les ingrédients sont réunis pour une grave crise financière. Selon Moody's, les dettes émises par les entreprises de la région Asie-Pacifique atteignent désormais 32.000 milliards de dollars. Une somme qui s'est amplifiée depuis la crise financière de 2008 grâce aux taux bas.

Résultat, l'épidémie a entraîné une crise des liquidités qui menace la stabilité de cette pyramide de dettes, explique le Financial Times. "Nous constatons une augmentation des demandes de renseignements des entreprises qui souhaitent obtenir des conseils sur la façon de prévenir un éventuel cas d'insolvabilité" explique John Park, directeur général de la société de restructuration FTI Consulting.

Immobilier chinois et secteur bancaire vietnamien

Un des secteurs les plus inquiétants reste l'immobilier chinois, endetté à hauteur de 647 milliards de dollars d'obligations (libellées en devises locales) selon Dealogic, qui alerte depuis plusieurs années sur le gonflement de la dette chinoise. En parallèle, les mises en chantier dans le pays auraient baissé de 20% même s'il toujours difficile d'évaluer réellement la reprise économique du pays. Si on pouvait, par exemple, se fier à la consommation énergétique pour constater la production industrielle, une récente enquête a mis en évidence des fraudes pour feindre une reprise.

Ainsi, quel avenir pour le promoteur géant Evergrande, endetté de plus de 100 milliards de dollars? "Too big to fail"? Pékin va probablement devoir intervenir pour ce conglomérat, et pour d'autres.

Mais la Chine n'est pas le seul pays qui craint les faillites. La Thaïlande ou le Vietnam ne disposent pas d'une large marge de manoeuvre, notamment dans leur fragile secteur bancaire. Le Cambodge, déjà asphyxié de dettes, va particulièrement souffrir de cette crise, faute de touristes et d'approvisionnement depuis la Chine.

Des records de dette mondiale

De façon plus générale, cette crise du coronavirus met en exergue un risque toujours plus prégnant, celui de la dette mondiale, qui n'a jamais été aussi élevée. Elle était évaluée à 253.000 milliards de dollars fin 2019 (ménages, entreprises et Etats compris) selon l'Institute of International Finance (IIF), avec un ratio dette/PIB à 322%, là encore un record. Selon la Banque mondiale, la dette totale (là encore publique et privée) des seuls pays émergents a atteint un nouveau record historique en 2018: 168% de leur PIB, soit 55.000 milliards de dollars. Et la hausse n'a jamais été aussi rapide.

Mais ce sont surtout les prêts à effet de levier (leveraged loans) qui inquiètent aujourd'hui. Estimés à 1.800 milliards de dollars, ce sont des prêts octroyés à des entreprises déjà très endettées, notamment aux Etats-Unis. Avec ce choc économique, le risque est majeur. D'autant plus que "le marché des leveraged loans est caractérisé par l’importance des investisseurs non-bancaires (CLOs, fonds d’investissement, fonds de pension, assureurs, hedge funds)" alertait déjà la Banque de France en juillet 2019. "À la différence des banques qui, sous l’impulsion des régulateurs, ont fortement réduit leur niveau de risque depuis la crise financière, les investisseurs non bancaires ont profité d’un cadre réglementaire moins contraignant pour accroître leur part sur ce marché". Les entreprises de l'énergie, qui souffrent déjà de la guerre des prix du brut, sont en première ligne.

Ces dernières semaines, l'indice Leveraged Loan 100, qui suit les prix des plus grands prêts à effet de levier, a plongé de près de 20%. "Nous avons affaire à l'inconnu" reconnaît Ruchir Sharma, stratège en chef de Morgan Stanley, au Washington Post. "Mais étant donné l'énorme augmentation de prêts à effet de levier, le système est fragile et vulnérable".

La grande question, désormais, est de connaître l'avenir de ces prêts? Les entreprises pourront-elles encaisser le choc? Là encore, les Etats devraient renflouer… et faire gonfler un peu plus la dette mondiale.

Thomas Leroy