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Face à la Chine, ce n'est peut-être pas sa politique concurrentielle que l'Europe doit changer

Depuis l'échec de la fusion entre Alstom et Siemens, rejetée par la Commission européenne, la pression politique se fait de plus en plus forte pour assouplir les règles européennes, en matière de concurrence. Ursula von der Leyen a promis une réforme mais attention à ne pas se tirer une balle dans le pied.

"Une erreur économique" qui "affaiblit l'Europe". Voilà comment le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait jugé le véto européen sur le projet de fusion entre les deux géant Alstom et Siemens. En janvier dernier, la commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager avait ainsi refusé de donner son feu vert, craignant la création d'un géant qui étoufferait toute concurrence en Europe et donc ferait augmenter les prix pour le consommateur, à terme. "Cette politique de la concurrence encourage l’innovation" assurait encore la Danoise, en mai dernier, lors d'une interview accordée à 12H, l'Heure H sur BFM Business.

Depuis cet évènement politique fâcheux, la Commission a changé de tête. L'Allemande Ursula von der Leyen a pris les commandes, aidée de Thierry Breton. Margrethe Vestager, elle, est restée en poste mais avec un ordre de mission clair : revoir les règles de la concurrence en Europe. La pression du Chinois Huawei, alimenté en subventions publiques, a probablement joué aussi son rôle. "S'il y a des concurrents, bien entendu, on est libre" rappelait encore Thierry Breton sur BFM Business. Mais il s'agira tout de même de "vérifier que la concurrence est saine et loyale et notamment en ce qui concerne les prix", ces concurrents ne bénéficient pas "d'aides d'Etat."

Les cartels dans le viseur

Renforcer les acteurs européens face aux concurrents chinois, sur le continent et à l'international, c'est donc l'enjeu des mois à venir. A la condition de ne pas se tromper de combat. "Quand on dit réforme de la politique de la concurrence, ça ne veut pas dire forcément baisser la garde. Je pense même qu'on va arriver à des effets un peu inverses" explique, sur le plateau des Experts de BFM Business, Emmanuel Combe, vice-président de l'Autorité de la Concurrence.

En réalité, la politique de la concurrence englobe deux sujets. Le premier concerne donc les fusions pour créer des champions capables de peser, sur le plan de la compétitivité, dans le monde entier. Mais l'autre volet, c'est la lutte contre les abus de positions dominantes et contre les cartels, au sein même du continent. En ce sens, les règles n'ont aucune raison d'être assouplies même si des ajustements devraient être réalisés. "Il n'y a pas en Europe, comme en France, ce qu'on appelle des mesures conservatoires" explique Emmanuel Combe. En clair, l'Europe ne peut pas arrêter une pratique, tant que l'affaire n'est pas jugée sur le fond. D'où des tunnels juridiques de plusieurs années.

Un autre enjeu sur lequel la Commission devrait se pencher concerne les "killer acquisitions", notamment dans le numérique, lorsqu'un géant rachète une startup à fort potentiel qui pourrait lui faire de l'ombre. "Ca passe encore sous les radars" reconnait Emmanuel Combe.

Nouvelle guerre commerciale?

Reste donc la question des fusions et l'intérêt de créer des champions européens. La crainte, c'est forcément l'impact sur les citoyens, faute de concurrents. Mais on peut aussi espérer des économies d'échelles pour, au contraire, faire baisser les coûts. Alors comment arbitrer?

Pour Emmanuel Combe, ce n'est pas forcément la politique de la concurrence qu'il faut ajuster. "Nous sommes victimes, en revanche, de la politique déloyale, des Chinois" souligne-t-il. "Alors utilisons un autre instrument qui s'appelle la politique commerciale" car "ce dont souffre l'Europe, c'et non pas d'un excès de politique de concurrence c'est d'une insuffisance de défense commerciale".

Et cela passe surtout par du courage politique car une politique offensive implique de relancer une guerre commerciale mondiale, qui commençait justement à s'apaiser…

Thomas Leroy