BFM Business
International

Faut-il craindre une nouvelle guerre des monnaies ?

-

- - AFP

Malgré la baisse des taux, Donald Trump continue de taper sur la Fed. Il voudrait qu’elle soit encore plus accommodante pour affaiblir le dollar et booster les exportations. Une situation qui fait redouter une nouvelle guerre des monnaies.

Tout est parti, une nouvelle fois, d’un tweet de Donald Trump. En juin dernier, à l’issue du forum de la BCE à Sintra, le président américain n’a pas manqué l’occasion de lui taper dessus : « Mario Draghi vient d'annoncer que d'autres mesures de relance pourraient venir, ce qui a immédiatement fait chuter l'euro contre le dollar, ce qui rend la concurrence avec les États-Unis plus facile. Ils s'en tirent à bon compte depuis des années, tout comme la Chine et d'autres pays » a-t-il lancé.

Quelques semaines plus tard, il a réitéré ses accusations, allant jusqu’à accuser ces pays de « manipulation » de leurs devises et appelant les Etats-Unis à réagir. Il demande notamment à la Fed de mener une politique plus accommodante de manière à affaiblir le dollar. Un message entendu ce mercredi par Jerome Powell, le président de la Fed, qui a annoncé une baisse du taux directeur de 25 points de base. Une baisse qui n'a peu eu l'effet escompté : l'euro a encore perdu 1% face au dollar.

Une logique électoraliste…

Les multiples déclarations du président américain ont depuis suscité les craintes d’une nouvelle guerre des monnaies. Des déclarations qui s’inscrivent dans un contexte bien particulier d’incertitudes liées à la guerre commerciale avec la Chine, mais aussi de campagne électorale en vue de sa réélection l’année prochaine. Donald Trump considère vraisemblablement que le déficit commercial des Etats-Unis avec l’Europe et de la Chine est, au moins en partie, le fruit de la sous-valorisation de l’euro et du renminbi (yuan).

En appelant la Fed à abaisser fortement ses taux, il espère donc que l’affaiblissement du dollar qui s’en suivra boostera les exportations du pays et satisfera son électorat ouvrier. « Donald Trump aime les taux bas » estime Thomas Costerg, économiste senior US chez Pictet Wealth Management. « Pour lui, cela est synonyme d’une économie forte. Il cherche par là à se démarquer de la pensée conventionnelle des politiciens de Washington et joue ainsi sa partition électoraliste ».

… en partie justifiée économiquement

Mais une intervention américaine plus poussée en matière de politique de change serait-elle pour autant justifié économiquement ? Dans un rapport publié mi-juillet, le FMI donne raison à Donald Trump sur certains points : selon l’institution internationale, au regard des fondamentaux américains, le dollar serait surévalué de 6 à 12% ; alors que l’euro serait, lui, sous-évalué de 8 à 18% si l’on considère le surplus des comptes courants allemands, principale économie du continent.

En ce qui concerne le yuan, le FMI s’est montré plus circonspect. Bien qu’il estime que la monnaie chinoise soit à un niveau équitable, il avertit que son analyse « est sujette à de grandes incertitudes » : « Les attentes autour des tensions commerciales, la politique monétaire et de change, les modifications de l’agenda des réformes du gouvernement, ou le désir des habitants de se diversifier dans des actifs étrangers pourraient provoquer d’importants changements dans les flux de capitaux et dans les pressions sur les taux de change », écrit le FMI.

Pour nombre d’analystes en tout cas, il faut moins voir dans cette force du dollar le résultat d’une manipulation des autres devises que la conséquence du climat économique mondial.

« L’analyse de Donald Trump est discutable », affirme Benoît Peloille, stratégiste chez Vega IM, « le dollar est un actif de confiance et sa force reflète le fait que l’économie américaine est perçue comme plus solide que celle des autres pays ». La guerre commerciale avec la Chine y aurait aussi un effet mécanique : « Lorsque vous augmentez les barrières douanières, cela fait automatiquement grimpé votre monnaie », nous dit Axel Botte, stratégiste international chez Ostrum Asset Management.

En 2018, Le dollar s’était en effet apprécié de plus de 10% face au renminbi dans les mois suivants le début des hostilités sino-américaines. Côté chinois, il apparaît donc que le gouvernement ne soit pas intervenu pour dévaluer sa monnaie. « Au contraire », nous dit Luc Luyet, stratégiste chez Pictet Wealth Management, « s’il est intervenu, c’était plutôt pour soutenir sa monnaie ».

Des moyens d’intervention insuffisants

Si l’administration américaine voulait dévaluer le dollar, ses moyens d’action seraient de toute façon limités. Dans un premier temps, si le Trésor voulait racheter des devises étrangères en quantité suffisante, il faudrait qu’il travaille de concert avec la Fed et les différentes autorités à travers le monde, « à un moment où une telle coopération n’est pas garantie et où il n’y a pas de volonté partagée de voir un dollar plus faible », écrit le Financial Times.

Ensuite, pour avoir un quelconque effet sur le cours du dollar, il faudrait des moyens beaucoup plus importants que ce que propose son fonds de stabilité monétaire (l’Exchange Stabilisation Fund, ou ESF), dont la mission est justement d’intervenir sur le marché monétaire. « Les réserves de ce fonds sont estimées à 94 milliards de dollars », écrit UBS dans une récente note d’analyse intitulée ‘Making the dollar weak again’ en référence au slogan de campagne de Donald Trump, soit une partie infime des près de 5.000 milliards de dollars qui s’échangent chaque jour sur les marchés internationaux, et accroître ce fonds nécessiterait l’approbation du Congrès ».

Donald Trump peut-il alors compter sur la Fed pour abaisser ses taux et affaiblir le dollar ? Avec la dernière baisse que vient d’annoncer Jerome Powell, nous serions tentés de croire qu’il a fini par céder aux caprices de son président. « Les critiques répétées de Donald Trump risquent de soulever des interrogations sur l’indépendance de la Fed », confie Benoît Peloille, « surtout quand on voit le virage accommodant qu’elle prend alors que l’économie américaine va bien. »

Pour Thomas Costerg, Jerome Powell est quelqu’un qui « manque de cadre théorique et qui risque de subir encore plus de pression de la part de Donald Trump ». Ce qui n’a pas manqué d’arriver.

Le discours que le président de la Fed a tenu après l’annonce de la baisse des taux a quelque peu refroidi les ardeurs du pensionnaire de la Maison Blanche – et celles des marchés – n’annonçant pas de nouvelle baisse des taux à l’avenir. « Son message est celui d’une approche assurantielle vis-à-vis des incertitudes » estime Jean Boivin, directeur général du BlackRock Investment Institute. « C’est le fruit d’une analyse raisonnable de la situation économique du pays, et non d’une motivation politique ».

Ce qui a eu pour conséquence de faire grimper le dollar dans la foulée au lieu de l’affaiblir, et de déclencher un nouvel accès de colère de Donald Trump : « Comme d’habitude, Powell nous laisse tomber […] Quoi qu’il en soit nous gagnons, mais je ne suis certainement pas beaucoup aidé par la Réserve Fédérale ! », at-il lancé sur Twitter.

Faut-il vraiment avoir peur des menaces de Trump ?

Mais Donald Trump peut-il vraiment gagner la guerre, comme il l’affirme ? « Une baisse du dollar n'aurait pas les effets attendus », considère Benoît Peloille, « tout le monde n'en profiterait pas car cela boosterait les exportations de produits industriels, alors que l'économie américaine est constituée à 80% de services ». Qui plus est, la baisse des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne attendue pour septembre viendrait contrecarrer les plans du président américain : « On s’attend à ce que la BCE prenne un package de mesures qui aura des effets synergiques beaucoup plus importants qu’escompté », anticipe Jean Boivin. « Ceci pourrait contribuer à un nouvel affaiblissement de l’euro ».

Donald Trump à son arrivée au meeting de Greenville, Caroline du Nord, le 17 juillet 2019
Donald Trump à son arrivée au meeting de Greenville, Caroline du Nord, le 17 juillet 2019 © AFP - Nicholas Kamm

Du côté de la Chine, le risque est qu’elle se mette à vendre massivement ses importantes réserves en dollar, ce qui aurait pour conséquence de dévaluer la monnaie américaine plus que de raison. Une mesure qui n’est évidemment ni dans l’intérêt des Etats-Unis, ni dans l’intérêt de la Chine, dont la devise se verrait fortement appréciée et pénaliseraient les exportations dont elle dépend. Le gouvernement chinois vient toutefois d’amorcer un mouvement de dédollarisation via un accroissement de ses réserves en or.

« La Chine veut diminuer sa dépendance au dollar », dit Luc Luyet, « Elle cherche à diversifier ses réserves de change pour gérer au mieux les risques liés aux tensions commerciales ». C’est aussi un moyen pour elle d’entamer sa longue transition vers une économie de service, moins tournée vers les exportations.

Alors faut-il craindre une guerre des monnaies, ou du moins une concurrence accrue, comme celle qui a mené aux accords du Plaza en 1985 ? Peu probable pour la plupart des analystes, d’autant plus que dans le cas des banques centrales, leur rôle, défini dans leurs statuts, n’est pas d’intervenir en matière de changes.

Comme le résume bien Masatsugu Asakawa, le vice-ministre des Finances japonais : « l’impact [de la baisse des taux] sur la devise n’est pas l’objectif, mais le résultat ». Malgré tout, certaines craintes demeurent après que Donald Trump ait déclaré le weekend dernier dans le bureau ovale que s’il voulait intervenir, il pourrait le faire « en deux seconde », ajoutant qu’il n’avait pas dit qu’il resterait « sans rien faire ».

Pour l’heure, son seul moyen d’action pour réduire son déficit commercial semble d’être une nouvelle hausse des barrières douanières. « Cette guerre commerciale est une situation perdant-perdant pour tout le monde : pour les producteurs comme les consommateurs américains, mais aussi le reste du monde. Donc même si la rhétorique s’est intensifiée autour d’une guerre des monnaies, elle restera uniquement du côté politique », conclut Jean Boivin.

Guillaume ALLIER