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Faut-il s’attendre à une nouvelle intervention de la BCE ?

La croissance était de 0,7% au dernier trimestre 2017. 

La croissance était de 0,7% au dernier trimestre 2017.  - Daniel Roland / AFP

Si Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, ne devrait pas annoncer la mise en place de nouvelles mesures, face à une inflation loin de son objectif, il devrait donner plus de précisions sur le prochaines interventions de la BCE.

Le discours du président de la Banque Centrale Européenne, Mario Draghi, ce jeudi est très attendu. Surtout depuis son intervention lors du forum Sintra en juin dernier, au cours duquel il avait annoncé que des mesures plus accommodantes pouvaient être prises pour soutenir l’économie en l’absence d’inflation.

Si, selon les analystes, Mario Draghi ne devrait pas faire d’annonce particulière, il pourrait néanmoins préparer les esprits à une nouvelle intervention de la BCE après l’été lors de la prochaine réunion trimestrielle. Dans un contexte de taux extrêmement bas, sa marge de manœuvre est certes limitée, mais elle n’est pas pour autant à court de munitions.

Les quatre mesures non-conventionnelles envisagées

La première mesure que pourrait bientôt prendre la BCE est de baisser à nouveau les taux courts. Et plus particulièrement son taux de facilité de dépôts, déjà à -0,4%, « avec au besoin des mesures d’atténuation de leurs effets négatifs pour les banques », déclarait François Villeroy de Galhau début juillet. Une situation déjà pénalisante pour les banques, qui se voient obligées de payer pour détenir des réserves auprès de l’institution francfortoise. La seconde option est la forward guidance, un outil de communication déjà utilisé et qui consiste en l’annonce d’une certaine période pendant laquelle elle ne touchera pas aux taux.

La troisième mesure que pourrait prendre la BCE est de relancer son programme de quantitative easing, c’est-à-dire d’augmenter son bilan en rachetant de la dette afin d’abaisser les taux longs. Une mesure qui avait été prise après la crise pour éviter un risque de faillite de certains Etats mais qui, à l’époque, « était arrivée tard dans le cycle et dont l’effet avait été marginal, en provoquant une baisse des taux dans des pays comme l’Allemagne qui n’en avaient pas besoin », estime Axel Botte, stratégiste international chez Ostrum Asset Management.

Enfin, la BCE pourrait faciliter les prêts de long terme en faveur des banques, ou TLTRO (pour Targeted Long Term Refinancing Operations), de manière à ce qu’elles continuent de financer l’économie.

La BCE en quête d’inflation

Toutes ces mesures seraient-elles à même de soutenir efficacement l’économie et, surtout, de relancer l’inflation, tombée à 1,3% en Zone Euro, bien loin des 2% que vise la BCE ?

Pour Louis Boisset, économiste chez BNP Paribas, « une baisse des taux aurait moins d’impact aujourd’hui qu’hier, car l’économie subit essentiellement des chocs exogènes : l’environnement international est moins porteur, la croissance des pays en développement baisse, il y a de fortes incertitudes notamment sur le commerce… Les pays plus ouverts, comme l’Allemagne, sont donc les plus exposés. Le programme de quantitative easing peut être de son côté justifié dans le contexte actuel, même si ce ne sera probablement pas suffisant pour relancer l’inflation à court terme ».

Pourtant, si l’on s’en tient à la théorie monétariste, après des années de politique accommodante, l’inflation devrait être à des niveaux élevés. Or ce n’est pas le cas. Une situation inédite qui prouve que « le lien entre monnaie, agrégats économiques et inflation s’est rompu il y a des décennies », affirme Lewis Alexander, chef économiste aux Etats-Unis de la banque Nomura.

« Même les politiques non-conventionnelles, destinées à soutenir l’emploi, n’y ont rien fait. […] Cela pose de plus larges questions sur notre niveau de compréhension de ce qui provoque l’inflation ». Louis Boisset estime lui que « de multiples facteurs structurels, tels que la baisse tendancielle de croissance, les faibles gains de productivité, l’ouverture des économies, ou encore la tertiarisation de l'économie, contiennent l’inflation, ce qui la rend moins réactive aux politiques monétaires ».

Des mesures qui poussent les marchés vers le haut

Une chose est sûre ou presque, de nouvelles mesures accommodantes de la BCE continueront de soutenir les marchés financiers : « c’est un acharnement thérapeutique dont la conséquence mécanique est de faire monter le prix des actifs financiers, car le surplus de liquidité a tendance à affluer vers les marchés. Le quantitative easing crée, lui, un excès de demande artificiel qui fait monter les prix obligataires et baisser les taux sans risque ».

Des tensions qui pourraient aussi amener les investisseurs à revoir l’allocation de leurs portefeuilles, en se déportant sur d’autres classes d’actifs, comme les actions. De plus, comme l’explique Lewis Alexander, il est important de comprendre la relation entre les taux d’intérêt et la croissance, respectivement de 0% et 1,2% en Zone Euro : « lorsque la croissance nominale est supérieure aux taux nominaux, la valorisation des actifs a tendance à être élevée », analyse-t-il.

Les banques pénalisées par les taux bas

Mais si les marchés peuvent se frotter les mains devant une nouvelle intervention de la BCE, les banques, elles, font grise mine. Lors de la présentation des résultats 2018 de BNP Paribas, son directeur général, Jean-Laurent Bonnafé, se plaignait de « taux à la cave » qui rognent les marges : le modèle économique d’une banque est en effet de collecter les dépôts à un certain taux, puis de prêter à un taux supérieur, empochant au passage la différence.

Or dans le contexte actuel, cette différence est justement devenue presque insignifiante. Qui plus est, la situation affecte également leurs activités de financement et d’investissement, en particulier les instruments de couverture de taux comme les swaps : « Le recours aux instruments de couverture devient accessoire parce que vous savez exactement où seront les taux demain matin, c'est-à-dire bas » expliquait encore Jean-Laurent Bonnafé, justifiant les mauvais résultats de sa BFI.

Une nouvelle intervention de la BCE n’irait donc pas vraiment dans leur sens. Les facilités de liquidité suscitent notamment quelques craintes : « les conditions de la nouvelle série de TLTRO apparaissent moins attrayantes, ce qui pourrait réduire la demande de liquidité des banques ».

« La BCE pourrait aussi mettre en place une politique de ‘tiering’ : c’est-à-dire exonérer une partie des réserves des banques du taux d’intérêt actuellement négatif sur les dépôts, de manière à moins pénaliser les banques. Mais il y a beaucoup de banques différentes dans la Zone Euro, et une telle mesure ne les aideraient pas toutes de la même manière. La mise en place de ce système de tiering s’avèrerait sans doute compliquée sur le plan opérationnel » conclut l'expert.

Guillaume ALLIER