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Faut il vraiment se soucier des montagnes de dettes qui attendent la France et l'Europe?

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La France affichera, au mieux, une dette de 115% de son PIB à la fin de l'année. Un chiffre qui sera encore plus élevé chez certains de ses voisins. Mais faut-il vraiment s'en préoccuper ?

Où en est-on de la dette française ?

Ce mardi, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin a revu à la hausse les prévisions de la dette française pour 2020 : 115% du PIB. "Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais notre pays n'avait connu ça" a-t-il expliqué. Alors que l'exécutif s'est évertué, depuis plusieurs années, à juguler le déficit et donc la dette française, le voici qui ouvre les vannes pour éviter l'effondrement économique du pays entré en confinement. En clair, "nous avons choisi la dette, le seul choix responsable" a résumé Bruno Le Maire sur Europe 1. Une orientation qui n'a pas manqué de créer la polémique. Et Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), de rappeler dans Le Parisien que "les Européens devront rembourser un jour".

Une explosion de la dette est-elle irresponsable ?

"Même si on arrive à 140% voire 150% du PIB, la France restera solvable. Les taux d'intérêt sont faibles et vont rester faibles" tranche l'économiste David Cayla, maître de conférences à l'université d'Angers. Effectivement, les taux d'emprunts français sont proches de zéro et l'augmentation de son endettement ne devrait pas y changer grand-chose.

Taux indicatifs des bons du Trésor et OAT au 13 avril 2020
Taux indicatifs des bons du Trésor et OAT au 13 avril 2020 © Banque de France

"Cela n'a aucune pertinence de regarder le pourcentage de la dette en PIB" souligne, de son côté, Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique du groupe Saxo Bank. "Ce qu'il faut regarder, c'est la charge de la dette, qui détient la dette et qui rachète la dette."

La charge de la dette, c'est concrètement les intérêts à payer. En dix ans, la charge de la dette a fortement diminué. Rien qu'entre 2018 et 2019, elle a fondu de 12,2 %. La trajectoire est donc rassurante pour les finances publiques.

"Ensuite, qui détient la dette? Largement des résidents. Qui rachète la dette? La BCE", souligne Christopher Dembik. En clair, la dette française (comme pour la plupart des pays européens) n'est pas dans cycle vicieux qui l'exposerait uniquement aux marchés. Les dettes dans les pays développés, aussi grande soient-elles, ne présentent donc pas un risque majeur, tant qu'une banque centrale se dite prête à intervenir. "La dette du Japon a largement dépassé 200% du PIB, ça ne l'empêche pas de mettre en œuvre des politique de relance" souligne d'ailleurs David Cayla. "En fait, la dette publique est un actif très recherché puisqu'il est sécurisé." 

Alors il ne faut pas s'en soucier?

C'est plus compliqué. Tant que la France peut emprunter facilement sur les marchés et que la charge reste faible, la dette ne pèse pas ou peu. Mais attention au retour du bâton. Si la récession actuelle se transforme en véritable crise systémique, l'intervention de l'Etat sera bien plus massive et sa dette pourrait faire un bond magistral. Or, personne ne sait réellement combien de temps les investisseurs sur les marchés accepteront de jouer le jeu. A partir de quel niveau de dette les taux d'intérêts vont-ils finir par grimper? L'Italie, qui affichait déjà une dette gigantesque et une croissance nulle avant la crise pourrait s'exposer à ce problème et finir par contaminer l'Europe. "Il n'y a pas d'urgence, mais à un certain seuil, il faudra effectivement s'interroger sur le montant de la dette" explique Christopher Dembik. Et donc amorcer une réduction du total.

Comment réduire la facture ?

Les Européens doivent rembourser, assure Christine Lagarde. L'idée est donc simple: hausse des recettes, baisse des dépenses. Après la crise de 2008, c'est la politique de l'austérité, associée à une hausse de la fiscalité qui avait été choisie. Et la rigueur pourrait bien se poursuivre. "Le traitement des dettes héritées de la crise supposera nécessairement un effort budgétaire rigoureux avec des dépenses publiques enfin plus sélectives" écrivait encore, dans une tribune au Monde, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

Mais, politiquement, une politique d'austérité serait difficilement acceptable et les voix pour ne "pas faire payer la facture aux Français", se multiplient. "Ces discours d'austérité sont plutôt une façon de rassurer les marchés et éviter que les taux grimpent" juge David Cayla. "D'autant plus que, si tous les pays pratiquent l'austérité, la demande externe ne pourra pas compenser la faiblesse de la demande intérieure."

Et si on annulait les dettes ?

Effacer les dettes d'un coup de chiffon. C'est l'idée qui revient et qui a d'ailleurs déjà été mise en pratique dans d'autres pays. Mais, rien n'est moins simple. Christine Lagarde a même jugée "impensable" l'annulation des dettes de la crise. Une sortie qui là aussi est destinée à calmer les marchés. "Si on laisse entendre que l'on va annuler les dettes, les taux vont forcément grimper" souligne David Cayla. Autre problème, soulevé par l'économiste: "quand on fait des défauts, on a des créanciers qui perdent de l'argent et les créanciers, en bout de chaîne, ce sont les épargnants, y compris les ménages" résume-t-il.

La solution est-elle alors européenne ?

Une idée plus "subtile" serait de passer les dettes au bilan de la Banque centrale européenne. En clair, que la BCE rachète les dettes des Etats, comme l'a proposé le prix Nobel d'Economie Jean Tirole, dans une tribune aux Echos. En théorie, ce n'est pas possible car ce n'est pas le rôle de la BCE. En pratique, c'est déjà le cas: "la nouvelle dette italienne peut être achetée sur le marché primaire (lors de l'émission de la dette, NDLR) par une banque italienne qui la vend ensuite à la BCE" sur le marché secondaire (lors de la revente de l'obligation) résume-t-il. A la fin, c'est bien la BCE qui récupère la dette italienne. "Mais elle ne le fait qu'à court terme pour financer les banques" tempère David Cayla. "Là, il s'agirait de le faire à très long terme. C'est techniquement possible mais contraire aux statuts".

Mais la BCE a prouvé, au cours de la dernière décennie, qu'elle était prête à dépasser son mandat pour éviter un effondrement de la zone euro, en réalisant des rachats d'actifs malgré les réticences de l'Allemagne. Reste que politiquement, les "pays du nord" ne sont pas forcément, de leur côté, prêts à de nouvelle concessions comme l'a montré le psychodrame européen autour des coronabonds. Tout est avant tout une question politique. "Pour moi, le débat n'est pas de revenir sur la dette qui existait avant la crise car certains Etats ont fait plus d'efforts que d'autres" juge Christopher Dembik. De quoi faire passer la pilule?

Quel impact aurait ce rachat de dettes par la BCE ?

Cela revient à monétiser les dettes. De facto, elles disparaîtront pour créer de la monnaie. Là encore, ce n'est pas le rôle de la BCE. Et le problème principal de la création monétaire, c'est évidemment l'inflation. "Le risque d'avoir une forte inflation est très peu probable" assure Christopher Dembik. En réalité, le modèle académique classique de l'inflation, qui augmente par la création monétaire, semble caduque: depuis la crise de 2008, et malgré les rachats d'actifs, l'inflation dans la zone euro n'a jamais décollé. Ce qui ne signifie pas que ce ne sera jamais le cas mais, à court terme, c'est peu probable.

Si cela arrive, comment s'en prémunir ?

Il faudrait alors changer de braquet. Une autre solution, pas forcément populaire, serait une taxe sur l'épargne des Français. Déjà appliquée en Italie au début des années 1990, elle permettrait rembourser une partie de la dette et d'inciter les épargnants à investir dans l'économie réelle. Cela implique néanmoins une politique européenne commune sur la question pour éviter une fuite des capitaux. L'idée a même été reprise après la crise de la dette grecque en 2013 par le FMI… de Christine Lagarde.

L'avantage, c'est que cette taxe pourrait être modulable en fonction des publics. "Finalement, c'est beaucoup plus juste que l'inflation" souligne David Cayla. "Si vous avez 20% d'inflation, c'est pour tout le monde sans distinction. La taxe permet d'exempter certaines personnes." Nous n'en sommes pas encore là.

Thomas Leroy