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Les fonds vautours veulent mettre l’Argentine à genoux

L'Argentine refuse de rembourser les créances détenues par les fonds vautours, qui, eux, ne renoncent pas à obtenir gain de cause

L'Argentine refuse de rembourser les créances détenues par les fonds vautours, qui, eux, ne renoncent pas à obtenir gain de cause - -

Ils veulent forcer Buenos Aires à rembourser en intégralité des dettes contractées il y a plus de dix ans. Et pour cela, ils utilisent toutes les armes à leur disposition.

"Ils ne lâcheront jamais l’Argentine", assure Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'Iris sur l’Amérique latine. "Ils", ce sont les fonds spéculatifs qui détiennent de la dette souveraine du pays et qui comptent bien se faire rembourser ces titres en intégralité. Pour y parvenir, ils attaquent Buenos Aires en justice, tentent de faire confisquer les possessions du pays, et y arrivent parfois.

Ces jours-ci, deux actions en justice sont en cours, une aux Etats-Unis et une au Ghana, parties d'une plainte de ces "fonds vautours". Une appellation peu glorifiante en référence à leur stratégie qui consiste à s’enrichir sur le dos d’Etats ou d’entreprises en difficulté.

Buenos Aires condamné à payer un milliard aux fonds vautours

Pour comprendre leur relation avec Buenos Aires, il faut revenir en arrière. En 2001, l’Argentine, endettée jusqu’à l’étranglement, se met en faillite. En clair, elle annonce à ses créanciers qu’elle ne leur remboursera pas les 132 milliards qu’elle leur doit.

Puis en 2005, Buenos Aires ouvre des discussions avec les détenteurs de sa dette en vue de la restructurer. Une majorité d’entre eux, 93%, acceptent une décote de 40 à 75% sur les titres argentins. D’autres, qui détiennent les 7% restants, refusent.

Leurs titres sont alors rachetés par les fonds spéculatifs en question, qui réclament un remboursement intégral, intérêts de retard compris. La présidente Cristina Kirchner leur oppose une fin de non-recevoir. Ces fonds, basés aux Etats-Unis et détenant des titres émis sur les marchés américains, portent l’affaire devant la justice fédérale.

La semaine dernière, le juge new-yorkais en charge de l’affaire leur donne raison, et condamne l’Argentine à leur verser 1,33 milliard de dollars au 15 décembre. Dans la foulée, l’agence Fitch dégrade la note de la dette du pays de cinq crans, estimant qu’un "défaut de paiement est probable".

Une frégate argentine otage d'un des fonds spéculatifs

Aussitôt, le gouvernement argentin fait appel. Et le 28 novembre, la justice américaine suspend la décision du juge de New-York jusqu’au 27 février 2013, date prévue de l’audience en appel. Un répit pour le pays.

Les fonds eux, parmi lesquels NML Capital Limited, n’en sont pas à leur première tentative pour faire plier le gouvernement Kirchner. Depuis le 2 octobre, NML a obtenu de la justice du Ghana la détention au port de Téma d’un bateau militaire argentin qui mouillait par là: le Libertad. Pour laisser repartir la frégate, le fonds réclame une caution de 20 millions de dollars, que l’Argentine refuse de payer.

Après avoir fait évacuer une grande partie de l’équipage fin octobre, Buenos Aires porte l'affaire devant le tribunal de la mer de Hambourg, sous le motif que le gouvernement ghanéen se rend complice d’une violation du droit international. Les audiences, au cours desquelles sont entendus les représentants des Etats argentin et ghanéen, se tiennent ces 29 et 30 novembre.

Ces fonds ont aussi essayé de faire "saisir des biens immobiliers argentins en France" par la justice du pays, explique Jean-Jacques Kourliandsky, le chercheur à l’Iris. Mais Paris, signataire de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, a invalidé le jugement. Le chercheur raconte également que la présidente Kirchner ne se déplace à l’étranger que sur des vols commerciaux, jamais sur son avion personnel, de peur qu’il soit saisi.

L'Argentine face à un dilemme

Buenos Aires pourrait tout simplement régler ses dettes. Mais comme le souligne Jean-Jacques Kourliandsky, elle est face à un dilemme. "Si elle accepte de payer les 7% de créances détenues par les fonds vautours sans décote, ça ouvre la boîte de Pandore". Car dans ces conditions, souligne-t-il, "ceux qui ont accepté la restructuration pourraient revenir sur leur décision, et l'Argentine se retrouverait dans l'impasse".

Le jeu du chat et de la souris entre le créancier et le redevable n'est pas près de s’arrêter. Même si la justice américaine confirme en appel la condamnation du juge new-yorkais, "Buenos Aires pourrait s’obstiner à refuser de payer", indique le chercheur de l’Iris. 

Une éventualité plausible puisqu'elle l'a déjà fait de 2002 à 2005. D'autant que cette décision ne lui porterait pas préjudice outre-mesure sur le plan financier puisque "son excédent commercial lui permet de survivre sans aller sur les marchés", poursuit-il.

Les fonds vautours, de leur côté, ne sont pas près de lâcher le morceau. Ils doivent se rembourser les dépenses qu’ils ont engagées en procédures de justice, et ce qu’ils ont investi pour racheter les créances argentines. Jean-Jacques Kourliandsky estime ainsi qu’ils ne cesseront pas leur "harcèlement judiciaire". "Leur stratégie n’est pas de négocier, à aucun moment. Leur stratégie, c’est le coup de poker, le pur calcul financier". Ils tentent leurs chance, saisissent les tribunaux, et s’ils gagnent, c’est le gros lot!

Nina Godart