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Gabriel Zucman: "Il est parfaitement possible de réconcilier la mondialisation et la justice fiscale"

Très écouté par Bernie Sanders et Elisabeth Warren, candidats démocrates aux élections américaines, l'économiste français qui enseigne à Berkeley appelle à un vrai changement de paradigme aux Etats-Unis, "pays où l'injustice fiscale est la plus marquée".

La justice fiscale va-t-elle enfin s'inviter dans le débat pour la prochaine élection présidentielle aux Etats-Unis? La question agite en tout cas certains candidats démocrates comme Bernie Sanders et Elisabeth Warren qui écoutent avec attention les analyses et les conseils de Gabriel Zucman, économiste français, enseignant à l'université de Berkeley et co-autreur avec Emmanuel Saez du livre "Le triomphe de l'injustice fiscale" aux éditions du Seuil.

"Aujourd'hui, quand on prend en compte l'ensemble des prélèvements obligatoires américains, on voit que toutes les catégories sociales payent environ 28% de leurs revenus en impôts à l'exception des milliardaires, des ultra-riches dont le taux effectif d'imposition en 2018 s'est élevé à 23%. Donc les milliardaires américains payent moins d'impôts en proportion de leurs revenus que les classes populaires et que les classes moyennes", explique-t-il sur le plateau de 12h, l'Heure H. "Le triomphe de l'injustice fiscale est un déni de démocratie", assène-t-il.

"Les américains sont fatigués de la dérive inégalitaire"

Et d'ajouter que les "américains sont fatigués de la dérive inégalitaire et quasiment oligarchique qui a amené Donald Trump au pouvoir (...) C'est pour ça qu'un certain nombre de candidats aujourd'hui à la primaire démocrate ont proposé par exemple d'introduire des impôts sur les très grandes fortunes (...) Bernie Sanders propose de taxer toutes les fortunes au-delà de 32 millions de dollars par exemple".

Cette croissance des inégalités n'est plus tenable pour l'économiste, il faut donc une autre fiscalité aux Etats-Unis mais surtout briser l'impression collective que rien n'est possible. "Nous, on a écrit ce livre pour essayer de s'attaquer à un défaitisme qui consiste à dire que aujourd'hui, à l'heure de la mondialisation, il serait devenu complètement utopique, impossible de taxer les hauts revenus, les grandes fortunes, les sociétés multinationales. Beaucoup de dirigeants, d'hommes et de femmes politiques de gauche comme de droite se sont laissés convaincre par ce défaitisme qui a gangrené les esprits."

"Il est parfaitement possible de réconcilier la mondialisation d'un côté et la justice économique et fiscale de l'autre" poursuit-il. "En pratique, de taxer les hauts patrimoines malgré les risques d'expatriation, de taxer les grandes sociétés multinationales bien qu'elles puissent déplacer leurs sièges sociaux dans des paradis fiscaux ou enregistrer leurs bénéfices aux Bermudes ou en Irlande. On peut inventer des solutions, nous dans ce livre on essaye d'inventer ces solutions là qui s'appliquent au cas des Etats-Unis mais bien plus largement au cas de la France, au cas de l'Union européenne et qui sont même des solutions plus importantes pour la France et pour l'Union européenne que pour les Etats-Unis car les forces de la concurrence fiscale, les forces de l'évasion fiscale se sont exercées avec encore plus d'intensité dans un pays comme la France au sein de l'Union européenne", poursuit l'économiste.

Déclin de la progressivité de l'impôt

Reste la question de la finalité. Et sur ce point, elles diffère des deux côtés de l'Atlantique. "Aux Etats-Unis, le taux de prélèvement obligatoire, c'est 28% du revenu national", rappelle Gabriel Zucman, "et c'est pas assez. Pourquoi, parce que leur état social, leur état providence a de graves lacunes. Il n'y a pas d'assurance maladie universelle, il n'y a pas de politique familiale, il n'y pas de crèches publiques, pas de maternelles... il y a un besoin de plus d'impôts".

"La France est un cas différent, le taux de prélèvements obligatoires, c'est 50% du revenu national, ce qui permet de financer un état social (...) l'enjeu en France n'est pas d'augmenter le taux de prélèvement obligatoire. La question de la justice fiscale est particulièrement importante quand l'Etat prélève 50% des richesses qui sont créées chaque année. Que ces prélèvements se fassent dans la justice, c'est fondamental. Or le problème, le déclin de la progressivité au sommet pour les très riches se pose aussi en France comme aux Etats-Unis, on a le même problème". 

Olivier Chicheportiche