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Guerre commerciale: la Chine détient des armes pour faire plier Donald Trump

De gauche à droite, le président américain Donald Trump et le président chinois Xi Jinping, en novembre 2017.

De gauche à droite, le président américain Donald Trump et le président chinois Xi Jinping, en novembre 2017. - Fred Dufour / AFP

Après les taxes sur l'acier et l'aluminium, Washington préparerait des sanctions commerciales ciblant spécifiquement la Chine. Cette dernière a de quoi se défendre. Pékin pourrait pénaliser lourdement certains produits américains qu'elle importe, mais aussi, et plus dangereux, elle pourrait arrêter de financer la dette des Etats-Unis.

"Peut-être que c’est le destin de la Chine de se battre contre les USA pour donner une leçon à Washington, ainsi soit-il", a lâché un éditorialiste mardi dans les colonnes du Global Times, un journal chinois reflétant la ligne du Parti communiste et connu pour son ton décomplexé. À Pékin, si les autorités évitent de souffler sur les braises, certains estiment qu’il faut bomber le torse devant Donald Trump qui, lui, enchaîne les attaques.

Parmi les dernières en date, l'appel du nouveau conseiller économique du président américain mercredi à former une "large coalition de partenaires commerciaux et alliés contre la Chine". Après les taxes sur les importations d’acier et d’aluminium, la Maison Blanche a l'intention de faire pression sur la République populaire afin qu’elle réduise son excédent commercial avec les Etats-Unis de 100 milliards de dollars. Pour mémoire, celui-ci s’élève à 276 milliards de dollars selon les douanes chinoises, 375 milliards selon Washington.

Pour cela, Donald Trump prévoirait d’instaurer de nouveaux droits de douanes sur 60 milliards de dollars de marchandises en provenance de Chine, des taxes qui concerneraient les secteurs de la tech, des télécoms et du textile, d’après les informations de Reuters.

"Les Chinois exercent un lobbying très fort"

En coulisse, les responsables chinois s’activent pour éviter de tomber dans une guerre commerciale. Pékin et Washington ont des "contacts politiques intenses depuis un certain temps", indique Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). "Les Chinois exercent un lobbying très fort auprès des Américains pour éviter qu’ils mettent en place de lourdes sanctions commerciales", poursuit l’économiste.

Les négociations sont d’autant plus complexes que Donald Trump glisse des enjeux politiques au milieu de cette querelle économique, comme le dossier nord-coréen. Si ces discussions échouent, Pékin pourrait employer la manière forte pour répondre aux Etats-Unis, et il a les armes pour le faire. 

Enquête anti-dumping

Avant l’acier et l’aluminium, le président américain a instauré fin janvier des taxes allant de 20% à 50% sur les machines à laver et de 30% sur les panneaux solaires. La Chine fait partie des pays pénalisés par ces mesures, mais leur impact reste minime.

La République populaire a tout de même décidé de riposter. Les autorités ont lancé début février une enquête anti-dumping sur les importations de sorgho en provenance des Etats-Unis, qui s’élèvent à un milliard de dollars. Les résultats sont attendus d’ici un an et les conséquences peuvent être importantes pour Donald Trump, car le Kansas, de loin le plus gros producteur de cette céréale, est un Etat qui vote républicain.

Le soja en sursis, Boeing comme moyen de pression

Depuis les dernières mesures de la Maison Blanche, Pékin menace maintenant les producteurs de soja. L’empire du Milieu représente la moitié des exportations américaines de cette marchandise, qui s’élèvent à 14 milliards de dollars. "Si demain la Chine dit 'on va s’approvisionner au Brésil et en Argentine', l’impact serait considérable" sur la balance commerciale des Etats-Unis, pointe Sébastien Jean.

La République populaire peut aussi faire pression sur l’aéronautique, étant donné que "les achats d’avions sont contrôlés par le politique", précise le directeur du CEPII. Environ 80% des commandes de Boeing viennent de l’étranger, l’avionneur se proclame d’ailleurs "le plus gros exportateur de marchandises du pays", selon le New York Times. "C’est donc l’entreprise la plus concernée par une guerre commerciale, surtout avec la Chine, l’un des marchés d’avions de ligne les plus en croissance", poursuit le quotidien. Selon les prévisions de Boeing, l'empire du Milieu achètera pour plus de 1000 milliards de dollars d’avions de lignes d’ici 2036.

L’avionneur emploie près de 140.000 personnes aux Etats-Unis et au moins autant de personnes travaillent chez ses fournisseurs, notamment au Kansas et en Pennsylvanie, une fois encore des Etats républicains.

En revanche, frapper Boeing n’est pas sans conséquences pour Pékin. La République populaire n’est pas encore capable de produire des avions à la hauteur de ses besoins. De plus, l’américain va investir 33 milliards de dollars dans une joint-venture pour ouvrir une usine d’assemblage non loin de Shanghai, selon le China Daily. "Tout est une question de pression politique, le problème quand on rend ces dossiers politique c’est qu’on ne sait plus où ça s’arrête", note Sébastien Jean.

La dette des Etats-Unis : "le levier le plus intéressant"

Outre les sanctions commerciales, Pékin peut toucher Washington sur un autre volet : celui de la dette. En 2017, La Chine est redevenu le premier créancier des Etats-Unis avec un portefeuille de 1180 milliards de dollars de bons du Trésor américain. "Si demain elle finance moins la dette américaine, elle va faire plus mal qu’en visant les importations", assure Christopher Dembik, chef économiste chez Saxo Banque. Pour preuve, des rumeurs dans la presse en janvier, indiquant que la Chine allait arrêter d’acheter des bons du Trésor, avaient fait chuter le dollar et augmenté le coût du financement de la dette américaine.

"Pour la Chine c’est le levier le plus intéressant, mais c’est un coût", nuance Christopher Dembik. En cessant d’acheter des bons du Trésor américain, la Chine se tire une balle dans le pied, car leur valeur risque de baisser et son portefeuille de 1180 milliards de dollars avec. "Il est possible que les Chinois essaient d’utiliser cette option, mais face à une administration déterminée je ne suis pas sûr que ce soit crédible comme menace", estime pour sa part Sébastien Jean. "Ils ont autant à y perdre que les Américains. Ça va rentrer dans la balance mais c’est un instrument dangereux".

Jean-Christophe Catalon