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Tout comprendre de la crise qui secoue l'économie mondiale

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- - JOHANNES EISELE / AFP

L'épidémie de coronavirus a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers et, de façon générale, sur l'économie mondiale. Pourquoi un tel impact? Quel avenir pour la croissance? Cette crise peut-elle sonner le glas de la mondialisation? Quelques éléments de réponses...

Depuis plusieurs semaines, les marchés financiers sont durement touchés par la crise du coronavirus, avec des baisses records des indices boursiers dans le monde, et le spectre d'une récession économique mondiale qui prend forme… Voici, en une série de questions/réponses, les principaux points à retenir de cette crise sanitaire, mais aussi économique.

Que s'est-il passé sur les places boursières ces dernières semaines ?

En quelques semaines, les place boursières ont connu des chocs très importants. Un krach boursier marqué par trois dates clés.

28 février: c'est la première grosse chute des indices boursiers. En une semaine, le CAC 40, l'indice parisien qui regroupe 40 groupes français cotés en Bourse, recule ainsi de -11,94% en cinq jours. C'est la première fois depuis la crise de 2008 qu'il chute aussi lourdement sur une semaine. La dernière semaine de février est donc celle qui a réellement lancé le début de la panique boursière avec le début de la propagation de l'épidémie en Europe.

9 mars : cette fois, les bourses du monde entier vacillent, emportées par les inquiétudes sur l'épidémie mais aussi par une chute brutale des cours du pétrole, la plus forte depuis la guerre du Golfe (jusqu'à 30%). La raison de cet effondrement est en partie diplomatique: les grands producteurs mondiaux, à commencer par l'Arabie saoudite et la Russie, n'ont pas su s'entendre pour réduire la production alors que la demande globale baisse. Résultat, l'Arabie saoudite a ouvert les vannes et provoqué une baisse massive des prix du pétrole. Dans la foulée, les marchés d'actions ont plongé: les entreprises pétrolières et parapétrolières se sont effondrées tandis que l'instabilité mondiale (et donc l'insécurité que les marchés détestent) est montée d'un cran. Ce "lundi noir", le CAC 40 a cédé 8,39%, sa deuxième pire séance depuis 2008. Et ce n'est qu'un début…

12 mars : trois jours plus tard, les marchés touchent le fond. Le CAC 40 plonge 12,28%, la pire journée de son histoire. Une déroute amplifiée par les propos de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, peu encline alors à lancer les grandes manœuvres pour soutenir l'économie. Dans le monde entier, cette journée du 12 mars va rester comme une des plus sanglantes de l'histoire des marchés financiers. Le Dow Jones, principal indice américain avec le Nasdaq, a ainsi chuté de 9,99 % à la clôture.

16 mars : Si les bourses européennes évitent le pire, ce n'est pas le cas de Wall Street qui enregistre une des pires séance de son histoire. Son indice vedette, le Dow Jones Industrial Average, s'est effondré de 12,94%, sa plus lourde chute depuis le Lundi noir d'octobre 1987.

Pourquoi l'épidémie de coronavirus a-t-elle un tel impact sur les marchés financiers?

Les marchés financiers détestent l'incertitude. Or, cette épidémie dont on ignore l'ampleur sur la durée a créé un véritable vent de panique sur les places boursières. Dans un premier temps, les difficultés en Chine ont touché les groupes internationaux qui y travaillent et s'y fournissent. Les fermetures d'usines dans ce pays ou les fermetures des magasins en Chine touchent, par exemple, les grands groupes français de l'automobile et du luxe. Cela signifie que leurs résultats (chiffre d'affaires, bénéfices…) risquent d'être en repli dans les semaines et mois à venir. Pour les investisseurs, c'est donc le moment de vendre. Le mouvement est lancé et de nombreux petits porteurs, inquiets, se désengagent à leur tour, créant les ingrédients d'une panique boursière. Si la confiance n'est pas durablement rétablie, les chutes se poursuivent.

Pourquoi les marchés alternent-ils les chutes et rebonds?

Les marchés sont sensibles et peuvent fortement rebondir, avant de repartir vers les abîmes le jour suivant. Première explication: si les cours baissent, beaucoup d'investisseurs décident d'en profiter pour acheter à moindre prix. Des algorithmes peuvent d'ailleurs être programmés pour réaliser des achats automatiques quand une action baisse suffisamment bas. Mais les rebonds sont aussi liés aux annonces de soutien économique. Une baisse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) ou de son équivalente américaine (la Fed) peut ainsi rassurer les marchés car cette baisse donne plus de facilités de financement aux entreprises. Attention : les marchés sont souvent déçus dans leurs attentes et une baisse, jugée trop faible, ne parvient pas toujours à redonner des couleurs aux bourses. Enfin, ceux qui misent sur la baisse des actions (les vendeurs à découvert) peuvent aussi décider de prendre leurs gains après une forte chute. Cela alimente le rebond puisqu'ils rachètent alors des actions pour déboucler leurs positions. 

Quels sont les secteurs les plus durement touchés par cette crise?

Le secteur le plus touché est probablement celui de l'aérien. Le 16 mars, Air France a, par exemple, annoncé une baisse très significative (entre -70% et -90%) de son activité pour une durée de deux mois. De son côté, Lufthansa va réduire de jusqu'à 90% ses capacités de vols long courrier. Le contexte est déjà compliqué pour de nombreuses compagnies aériennes et cette crise risque de faire des victimes. La première est Flybe, compagnie régionale britannique, obligée de cesser son activité au début du mois de mars. Le secteur pourrait ainsi perdre jusqu'à 250 milliards en 2020…

Le tourisme est aussi l'autre secteur durement touché, avec une hausse des demandes d'annulation et une baisse des réservations. Rien que pour janvier et février, la perte s'élève à un milliard d'euros pour les professionnels européens. De plus, le confinement, général ou partiel, met en péril le commerce de proximité ou les restaurants, contraints de fermer leurs portes.

Mais l'industrie risque aussi de pâtir aussi de cette crise, à mesure que les usines s'arrêtent les unes après les autres. PSA a ainsi décidé la fermeture de tous ses sites européens le 16 mars, suivi par Renault. A terme, c'est probablement l'ensemble de l'économie qui sera touchée, de près ou de loin, par le ralentissement mondial.

Quel sera l'impact sur l'économie mondiale?

Dès le lundi 16 mars, le commissaire européen Thierry Breton a évoqué une récession pour la zone euro en 2020. C'est alors la première fois qu'elle est évoquée puisque, jusqu'à présent, les autorités françaises ou européennes envisageaient une nette baisse de la croissance, sans aller jusqu'à la récession.

Le 8 avril, la Banque de France a publié sa première estimation du produit intérieur brut (PIB) français au premier trimestre 2020 : il a chuté d'environ 6%. Cela correspond à la pire performance trimestrielle de l'économie française depuis 1945. Le PIB s'étant déjà replié de 0,1% au quatrième trimestre 2019, la France est donc techniquement en récession.

Et cela pourrait s'aggraver. Selon l'OFCE, un mois de confinement entraîne une perte de 2,6 points de PIB sur un an, un chiffre énorme. Cela laisse augurer la pire chute de croissance de l'histoire de nombreux pays.

Le 14 avril, Bruno Le Maire a donné une nouvelle évaluation de la récession : -8% en 2020. Et cela pourrait s'aggraver à mesure que le confinement dure, prévient-il.

Comment le gouvernement français a-t-il réagi à cette crise?

Les différents ministres, puis Emmanuel Macron, ont annoncé une série de mesures pour protéger l'économie française. Parmi elles, la mise en place du chômage partiel (financé par l'Etat) pour les salariés dont les entreprises sont en difficulté. Mais aussi le report des cotisations et impôts des entreprises au mois de mars. Un plan de relance à l'échelle nationale est en préparation et pourrait plutôt s'articuler au niveau européen. Une chose est sûre, Emmanuel Macron a promis de soutenir l'économie "quoi qu'il en coûte", c'est-à-dire (a priori) sans restrictions budgétaires.

Pour les petites entreprises, qui pourraient mettre la clé sous la porte, le président de la République a annoncé qu'elles "n'auront rien à débourser, ni pour les impôts, ni pour les cotisations sociales. Les factures d'eau, de gaz, d'électricité ainsi que les loyers devront être suspendues". Pour les entrepreneurs, commerçants, artisans, un fonds de solidarité est créé, abondé par l'Etat. Enfin de possibles nationalisations ont été évoquées.

>>> Lire notre article - Coronavirus: les mesures mises en place pour soutenir les entreprises et les professionnels

Cette crise va-t-elle avoir un impact sur l'emploi?

Tout dépend de la durée de l'épidémie et des mesures associées. Du fait du confinement et de l'arrêt brutal des activités économiques, la récession sera violente mais la reprise devrait être tout aussi vigoureuse car les fondamentaux de l'économie n'ont pas changé. Le gouvernement français met en place des mesures de soutien et de chômage partiel pour éviter les pertes d'emplois. Reste à savoir si cela évitera les faillites et donc les licenciements…

Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), la pandémie de Covid-19 pourrait entraîner jusqu'à 25 millions de pertes d'emplois au niveau mondial mais ce chiffre pourrait être "significativement plus faible" si une réponse coordonnée à l'échelle internationale se met en place. En clair, les Etats vont devoir investir massivement dans l'économie "pour qu'aucune entreprise ne fasse faillite" comme l'a assuré Emmanuel Macron.

Comment les autorités mondiales tentent d'endiguer la crise économique?

La première réponse est venue des banques centrales qui ont abaissé leurs taux et injecté de l'argent frais sur les marchés afin que le entreprises en difficulté puisse s'endetter à moindre frais et éviter la faillite. Du côté des pays, de vastes et coûteux plans de relance sont avancés. Les Etats-Unis ont ainsi annoncé un plan de relance record d'environ 2 000 milliards de dollars.

Le 18 mars, la BCE a annoncé un vaste plan de rachat de dettes publiques et privées, à hauteur de 750 milliards d'euros. L'idée est de soulager les entreprises ou les Etats en difficulté, qui pourraient avoir du mal à emprunter. En rachetant une partie de leurs dettes, la BCE permet à ces acteurs de continuer à se financer à peu de frais pendant cette période compliquée.

De son côté, la Fed (banque centrale américaine) a décidé, le 23 mars, de ne plus fixer la moindre limite à ses rachats de dettes. Une décision forte, qui fera probablement date, dans son ampleur.

Mais c'est du côté européen que la réponse est encore attendue. Le 9 avril, les ministres des Finances ont finalement réussi à se mettre d'accord sur un plan d'action commun. Reste un obstacle majeur : la mutualisation des dettes. En clair, il s'agirait que l'Europe prenne en charge tout ou partie des dettes des pays, pendant cette crise. Mais les pays les plus vertueux en matière de rigueur budgétaire, comme les Pays-Bas, s'y opposent formellement. 

Que sont les coronabonds (ou eurobonds) ?

Dans la réponse européenne, la question des coronabonds revient régulièrement. La dette européenne, c'est encore le principal point de tension qui divise les pays de la zone euro. Certains Etats sont dans des situations budgétaires très complexes depuis des décennies : l'Italie, l'Espagne, la Grèce et dans une moindre mesure la France. Et l'épidémie, qui exige de nouvelles dépenses pour sauver les emplois, va encore faire gonfler les dettes des pays. Or, un pays trop endetté et sans croissance aura de plus en plus de mal à emprunter sur les marchés, qui se méfient de sa capacité à rembourser. La Grèce est ainsi passée près du défaut de paiement en 2012.

L'idée des eurobonds est donc de mutualiser certaines dettes européennes, qui seront alors prises en charge par tous les membres de la zone euro. Cette mesure est rejetée par les pays du nord comme les Pays-Bas ou l'Allemagne qui n'ont pas l'intention de payer pour les "mauvais comptables" du sud. L'épidémie a donc fait émerger une alternative : les coronabonds qui consistent à mutualiser les dettes uniquement liées à la crise. Début avril, la proposition semblait abandonnée, faute de consensus.

Cette crise est-elle comparable à la crise financière de 2008?

Difficile de comparer les deux. La récession de 2008-2009 avait une origine financière: l'effondrement des "subprimes", ces prêts immobiliers octroyés à la légère par les banques américaines. En 2008, les principales banques centrales s'étaient concertées pour abaisser leurs taux et injecter des liquidités. Elles avaient aussi joué un rôle déterminant dans la sortie de crise en achetant de la dette publique et privée. Douze années plus tard, elles ne disposent plus des mêmes marges de manœuvre face à une crise qui par ailleurs n'est pas, à l'origine, bancaire ou financière.

Reste que cette épidémie pourrait bien basculer dans une crise de la dette mondiale si elle n'est pas endiguée suffisamment tôt. 

>>> Lire notre article : Derrière l'épidémie de coronavirus, le spectre d'une nouvelle grande crise de la dette

Combien de temps l'économie mondiale va-t-elle être plombée?

A priori, le scénario le plus probable suivrait une trajectoire en "U", dans lequel l'activité est totalement pétrifiée au premier trimestre 2020, et où le second trimestre ne s'avérerait pas particulièrement bon non plus (l'activité économique peinant à retrouver son rythme de croisière), avant une reprise progressive en fin d'année. Mais d'autres scénarios existent, en V, en W...

Tout dépendra finalement de la durée de l'épidémie (et notamment du confinement) et des réponses apportées par les gouvernements pour relancer l'économie. Les filières et les instances professionnelles ne cessent en France de le rappeler: soutenir les secteurs en difficultés constitue une priorité. Emmanuel Macron a appelé à davantage de "coordination européenne et internationale" pour faire face à la crise du coronavirus.

Cette crise peut-elle avoir un impact sur la mondialisation?

C'est toute la question de "l'après crise". Le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, a été l'un des premiers hommes politiques à lancer un appel aux multinationales pour qu'elles "tirent les conséquences" de l'épidémie, qui a mis plusieurs usines à l'arrêt en Chine et compliqué l'approvisionnement dans d'autres pays. La délocalisation en Asie des principes actifs des médicaments a notamment créé un certain émoi politique. "On redistribuera un peu les cartes, on va sans doute mieux aujourd'hui contrôler ces chaînes d'approvisionnement" expliquait sur BFM Business Thierry Breton. "Donc oui ça va sans doute un peu accélérer ce processus mais ce n'est absolument pas la fin de la mondialisation".

Alors peut-on vraiment se passer de la mondialisation? Rien n'est moins simple. "On ne peut pas le faire si les coûts sont supérieurs" expliquait le patron de l'équipementier automobile Valeo, Jacques Aschenbroich, sur BFM Business. "Aucun de nos clients, aucun de nos consommateurs n'acceptera de payer plus cher. Donc il faut qu'on trouve des solutions qui nous permettent finalement d'avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est-à-dire quelque chose de plus régional, donc de moins risqué… mais à des coûts qui ne soient pas supérieurs." Equation difficile.

Thomas Leroy