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La dernière version saoudienne sur la mort de Khashoggi

Jamal Khashoggi en 2014

Jamal Khashoggi en 2014 - Mohammed Al-Shaikh/AFP

Ryad donne de nouveaux détails sur sa version de la mort du journaliste, et procède à un important coup de balai dans ses services secrets

L'Arabie saoudite a reconnu que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi avait bien été tué à l'intérieur du consulat saoudien à Istanbul, mais nie avoir donné le moindre ordre officiel d'assassinat. Après un premier communiqué du procureur général saoudien qui évoquait « une bagarre et une rixe à coups de poings », un haut responsable, cité par l'agence Reuters, a livré plus de détails.

Selon lui, une équipe de 15 agents saoudiens a été mise sur pied par le directeur adjoint de la Direction générale du renseignement, Ahmed al Asiri, (aujourd'hui limogé) pour rencontrer Khashoggi au consulat d'Istanbul et s'efforcer de le convaincre de rentrer en Arabie saoudite. "Il y a une consigne permanente qui consiste à négocier pacifiquement le retour des dissidents, ce qui leur donne l'autorité d'agir sans en référer à la hiérarchie", a-t-il dit. Le commando prévoyait d'enfermer Khashoggi dans un lieu sûr à l'extérieur d'Istanbul "pendant une certaine période de temps" mais de le relâcher si ce dernier persistait à refuser de revenir dans le royaume. Mais les choses ont mal tourné car les agents ont outrepassé les ordres et recouru à la violence.

Toujours selon cette nouvelle version saoudienne, citée par Reuters, Jamal Khashoggi a été conduit dans le bureau du consul général où un agent nommé Maher Moutreb a tenté de le convaincre de rentrer en Arabie. Le journaliste a refusé et déclaré à son interlocuteur que quelqu'un l'attendait à l'extérieur du consulat et contacterait les autorités turques s'il ne réapparaissait pas au bout d'une heure. La financée de Khashoggi, Hatice Cengiz, a déclaré à Reuters que ce dernier lui avait remis deux téléphones portables et demandé de l'attendre et d'appeler un conseiller de la présidence turque au cas où il ne ressortirait pas du consulat, où il devait se rendre pour des formalités administratives en vue de son mariage.

Dans le bureau du consul, toujours selon la dernière version en date des Saoudiens, Khashoggi a déclaré à Moutreb qu'il violait les règles diplomatiques et ajouté : "Qu'allez-vous faire de moi ? Avez-vous l'intention de me kidnapper ?" Maher Moutreb a répondu : "Oui, nous allons vous droguer et vous kidnapper." Khashoggi a alors élevé la voix et l'équipe a paniqué. Les agents ont tenté de le maîtriser en lui faisant une clé d'étranglement, a déclaré le haut responsable. "Ils ont essayé de l'empêcher de crier mais il est mort. Ils n'avaient pas l'intention de le tuer", a-t-il affirmé

L'Arabie Saoudite n'admet donc à aucun moment avoir donné un ordre d'assassinat. Cité par l’agence Reuters un représentant saoudien informé de l'avancée de l'enquête a affirmé qu'aucun ordre de ce type n'avait été donné par le Royaume, précisant que le prince héritier Mohamed ben Salmane ne savait pas qu'une opération spécifique serait menée au consulat saoudien d'Istanbul.

Coup de balai

Et pourtant c’est bien un réel coup de balai qui est mené en ce moment dans l’entourage du prince héritier ainsi qu’au cœur des services secrets du royaume. Un haut responsable du renseignement saoudien, Ahmad al-Assiri, et un important conseiller à la cour royale, Saoud al-Qahtani, sont en effet destitués, or ces hommes sont deux proches collaborateurs du prince héritier Mohammed ben Salmane. La grande proximité des deux personnages limogés avec le prince a été soulignée par un analyste du Baker Institute de l'université de Rice, aux Etats-Unis, interrogé par l’AFP : « renvoyer Saoud al-Qahtani et Ahmad al-Assiri, c'est aller aussi près de MBS qu'il est possible d'aller, il sera intéressant de voir si ces mesures s'avèrent suffisantes. Si le goutte à goutte de détails supplémentaires (sur la mort de Khashoggi) continue, il n'y a plus de tampon pour protéger MBS ». « Cette affaire confirme ce que beaucoup pensent de MBS » ajoutait Frédéric Encel sur BFMbusiness, « des réformes sociales importantes, pour les femmes notamment, mais sans grande portée démocratique, et cela pour mieux asseoir un pouvoir dictatorial et intransigeant ».

Ryad a par ailleurs annoncé que 18 personnes, toutes de nationalité saoudienne, avaient été arrêtées dans le cadre de l'enquête. Le roi Salmane d'Arabie saoudite a également ordonné la création d'une commission ministérielle présidée par le prince héritier pour restructurer le service saoudien du renseignement. Le prince héritier semble garder le contrôle du processus soulignent les experts, mais il est clair qu’il reçu un sérieux avertissement de la part du roi, obligé d’intervenir directement dans cette affaire.

Trump attend d'autres explications

La reconnaissance de la mort de Khashoggi par Ryad est intervenue alors que l'administration du président américain Donald Trump avait finalement adressé une nouvelle mise en garde à Ryad, évoquant de possibles sanctions. Et après l'annonce saoudienne, juste avant un meeting de campagne en Arizona, répondant à un journaliste qui lui demandait s'il jugeait crédible la version de Ryad, M. Trump a répondu: « Oui, oui ; mais encore une fois, il est tôt, nous n'avons pas fini notre évaluation, ou enquête, mais je pense qu'il s'agit d'un pas très important », a-t-il dit. L'Arabie Saoudite et les Etats-Unis soufflent le chaud et le froid depuis le début de cette affaire, le royaume n'hésitant pas à menacer de jouer de l'arme pétrolière

Mais après 24 heures de réflexion, le ton du président américain n'était plus le même :"je pense qu'il y a eu tromperies et mensonges, leurs histoires partent dans tous les sens" déclarait-il finalement au Washington Post, journal dans lequel écrivait Jamal Khashoggi qui vivait en exil aux Etats-Unis. "J'aimerais que le prince héritier ne soit pas responsable" ajoutait Donald Trump, "c'est un allié très important pour nous, notamment face à l'Iran qui mène tellement d'activités néfastes à travers le monde, c'est un très bon contrepoids". Dans le même temps des élus américains s'étaient montrés nettement plus durs que la Maison Blanche après l'annonce saoudienne. Le sénateur Lindsey Graham, un proche allié de Donald Trump, a mis en doute la crédibilité de Ryad: Dire que je suis sceptique sur la nouvelle version saoudienne sur M. Khashoggi est un euphémisme », a tweeté le sénateur républicain.

La localisation du corps de Jamal Khashoggi reste un mystère. Un représentant saoudien cité par l’agence Reuters indique qu’il a été «roulé dans un tapis et donné à un opérateur local » et qu’il n’est plus au consulat saoudien. La police turque a procédé à des fouilles dans une forêt située aux abords d'Istanbul et dans une ville proche de la mer de Marmara.

La REDACTION