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L’atteinte à la signature britannique en cas de refus de régler la facture du Brexit

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- - Glyn Kirk - AFP

L’ancien maire de Londres et chef de la diplomatie britannique Boris Johnson, le mieux placé apparemment pour succéder à la Première ministre Theresa May, a déclaré vouloir refuser de payer la facture du Brexit à l’Union européenne. Divergences sur les conséquences d’un défaut.

Pour savoir s’il s’agirait d’un défaut de paiement, il y a matière à débat. Mais ce qu’il y a d’à peu près certain, c’est que si le Royaume-Uni ne règle pas les 40 à 45 milliards d’euros d’engagements dus au budget pluriannuel de l’Union européenne (UE), immanquablement le contentieux se traitera durant de longues années devant un tribunal international, à La Haye (Pays-Bas). L’entourage du chef de l’Etat français Emmanuel Macron évoque d’ores et déjà une « équivalence » avec un défaut sur la dette souveraine, même si pour l’heure, aucune autre capitale européenne n’établit ouvertement cette « équivalence ».

Dans les institutions européennes, on veille encore à ne pas prendre l’hypothèse de front. La menace de Boris Johnson est jugée « absolument inacceptable » par le négociateur du Parlement européen sur le Brexit, Guy Verhofstadt. Pour un ancien directeur général du service juridique du Conseil européen, interrogé par la BBC, il en irait de la « réputation internationale » du Royaume-Uni. Comprendre, de sa signature pas seulement vis-à-vis des 27. La possibilité que le dossier n’arrive devant le club de Paris est évoquée dans la presse britannique. Perspective presque infamante : ce forum informel de créanciers publics, chargé d’alléger la dette de pays en grande difficulté, se retrouverait à discuter des finances de la 5ème puissance économique mondiale.

Pas un défaut

En attendant, pour les agences de notation financière, un refus de Londres de payer l’UE ne serait pas constitutif d’un défaut souverain. C’est l’avis exprimé, auprès de l’agence Reuters, par le principal analyste pour le Royaume-Uni de Standard & Poor’s, qui fait état de la méthodologie maison qui ne concerne que les obligations de dette commerciale. Des porte-parole de Moody’s et Fitch sont sur une position similaire. Mais que le statut britannique de premier rang ne soit aucunement affecté en cas de mise à exécution de la menace, beaucoup en doutent au Royaume-Uni. Un ancien ambassadeur en France et auprès de l’Otan, Peter Ricketts, siégeant à présent à la Chambre des Lords, choisit l’ironie comme mise en garde : faire défaut de la sorte vis-à-vis de l’UE représenterait « une excellente » façon d’entamer une « vie de nation indépendante » en quête d’accords commerciaux internationaux. Un éditorialiste politique de la chaine privée ITV en conclut que si Boris Johnson pense pouvoir nuire à l’UE, ce serait d’abord à ses compatriotes qu’il porterait préjudice en diminuant les capacités du pays à se refinancer et à nouer des partenariats extérieurs.

Obligation financière

L’éventuel futur Premier ministre doit surtout convaincre que sa menace n’est pas qu’une redite de celle exprimée en janvier par un ancien ministre chargé du Brexit, qui a assuré que dès lors que le Parlement rejetterait un accord de sortie, Londres ne serait juridiquement plus concerné par les contributions financières à l’UE. David Davis a invoqué un rapport d’une sous-commission de la Chambre des Lords, publié moins d’un an après le référendum de 2016. Un cabinet Johnson ne manquerait certainement pas de juristes pour soutenir la position d’un refus de payer, parce qu’il serait alors question d’une somme qui n’a finalement pas pu être négociée, et non d’une reconnaissance de dette.

Toutefois, certains universitaires mettent en garde contre cet échafaudage juridique. La chaîne privée Channel 4 cite ainsi un professeur de la London School of Economics qui décrit le rapport de la Chambre des Lords comme « litigieux ». Et une professeure à Southampton prévient que si l’on se réfère à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, le Royaume-Uni se doit d’assumer ses obligations financières contractées durant l’application d’un traité international auquel il est partie, en l’occurrence celui sur l’UE. On ne saurait alors prétendre ensuite que les engagements pris seraient nuls et non avenus.

Combat stérile

Parmi ceux qui sont disposés à suivre Boris Johnson dans son raisonnement, certains observateurs pensent malgré tout que ce combat serait stérile. Comme cet éditorialiste économique du quotidien conservateur « The Telegraph » qui assure, point par point, que ne pas payer l’Europe serait juridiquement tout à fait recevable. Toutefois, il invite le potentiel successeur de Theresa May à ne pas perdre son temps avec une cause qui, au lieu de représenter un effet de levier face aux 27, les souderaient plus encore. « L’argent », écrit-il, est « moins important dans cette dramaturgie que Johnson et de nombreux lecteurs semblent le supposer ». L’éditorialiste pro-Brexit considère que le prochain gouvernement se détournerait alors de l’essentiel : bâtir une « démocratie autonome après son départ de l’UE » ou bien « devenir une colonie légale piégée dans les acquis de l’UE ». L’enjeu serait donc plus important qu’une facture de 40 à 45 milliards d’euros.