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La Grèce propose ses réformes: capitulation ou victoire?

Alexis Tsipras a-t-il joué un magnifique coup de poker ou a-t-il tout bonnement capitulé ?

Alexis Tsipras a-t-il joué un magnifique coup de poker ou a-t-il tout bonnement capitulé ? - LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Le gouvernement grec a envoyé jeudi soir à la dernière minute ses propositions à ses créanciers. Des mesures très semblables à celles que réclamait l'Europe. Faut-il y voir la défaite ou au contraire le triomphe d'Alexis Tsipras ? Débat.

L'information est tombée dans la nuit de jeudi à vendredi. La Grèce a détaillé ses propositions complètes à ses créanciers pour espérer rester dans la zone euro. Dans ce document qui tient sur treize pages, Athènes s'engage à appliquer quasiment toutes les mesures proposées par les créanciers le 26 juin. Des mesures que le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, avait refusées à l'époque, et sur lesquelles il avait appelé son peuple à voter non au référendum de dimanche dernier.

La principale d'entre elles: une hausse de la TVA, qui va passer de 13 à 23%. Toutes les exceptions dont bénéficiaient notamment certaines îles grecques vont être supprimées. Les retraites vont également être réformées: le départ anticipé sera retardé, et un avantage qui profite aux retraités les plus modestes supprimé d'ici 2019. Les dépenses militaires, pourtant très chère au cœur d'une partie de la très hétérogène coalition formée par Syriza pour diriger, vont baisser de 300 millions d'euros d'ici 2016.

Quant à savoir si ces propositions constituent un aveu de défaite ou consacrent au contraire le succès de la stratégie du dirigeant grec, Alexis Tsipras, les éditorialistes de BFM Business, Nicolas Doze et Gaël Sliman, ne sont clairement pas du même avis.

Nicolas Doze: "on assiste à la capitulation de la Grèce"

Nous vivons un psychodrame qui n'aurait servi absolument à rien. Ce vendredi matin, on retourne à la case départ. Dès la fin du mois de janvier, les institutions européennes qui détiennent la dette grecque et le FMI formulaient déjà ces mêmes propositions. La seule chose nouvelle aujourd'hui par rapport à ces derniers mois, c'est que l'économie grecque, qui sortait de l'ornière début 2015, est en train de replonger en récession.

En théorie, ces mesures devraient permettre à la Grèce de rester dans la zone euro. Athènes propose des réformes "germanocompatibles". Elles ont toutes les chances d'être votées par le Parlement grec à la mi-journée, les parlementaires ayant les mains liées par le plébiscite d'Alexis Tsipras lors du référendum. On assiste à la capitulation de la Grèce, cette histoire est totalement lunaire. Quel temps perdu!

Quant à la question de la dette grecque, l'autre enjeu majeur des discussions, les discussions, s'il elles existent, se mènent dans une discrétion totale. A peine se borne-t-on à nous dire qu'on regarde le calendrier pour définir comment elle pourrait être rééchelonnée.

Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des Finances, s'exprimait jeudi devant la Bundesbank en des termes limpides: il a reconnu que le FMI avait raison, qu'il fallait une décote sur la dette de la Grèce, et que ce fardeau n'était pas soutenable. Mais les traités européens ne permettent pas de décote.

Donc en réalité, les parties prenantes de la négociation vont mettre le sujet sous le tapis, ne pas l'aborder dimanche à l'occasion du sommet à 28, puisqu'ils ne veulent pas faire capoter l'éventualité de trouver un accord. On va continuer quoi qu'il arrive à effacer progressivement cette dette, à allonger les maturités, à baisser les taux d'intérêt, comme les créanciers le font depuis 2012.

En somme, l'Eurogroupe va se tenir samedi, le Conseil européen dimanche. Il faudra l'accord de certains Parlement nationaux, comme le Bundestag. Tout va très bien se passer: la BCE va laisser branchées les liquidités pour les banques, les établissements financiers grecs vont rouvrir, on va continuer pendant de très nombreuses années à financer la Grèce, donc à s'auto-rembourser ce que le pays nous doit.

Gaël Sliman: "on pourrait surnommer Alexis Tsipras Franck Underwood"

Pour ceux qui aiment la série House of Cards, on pourrait surnommer Alexis Tsipras Franck Underwood. Si on raisonne d'un point de vue purement machiavélique, et en faisant abstraction de l'idéologie de chacun concernant le bonhomme, c'est quand même diablement bien joué dans le genre cynique.

Finalement, le Premier ministre grec va obtenir, en termes de prêts, davantage de l'Europe que ce qu'il aurait obtenu s'il n'avait pas joué son bras-de-fer. Mais surtout, il va lâcher bien plus à l'Europe que ce pour quoi il a été élu, que le mandat qui lui a été donné par le peuple grec. Il ne faut pas oublier qu'Alexis Tsipras est sur une ligne d'extrême gauche. Il se situe à la gauche de Jean-Luc Mélenchon.

Finalement, avec tout le barnum qu'il a monté, il se retrouve dans une situation où il pourra faire avaliser des mesures que jamais son peuple n'aurait acceptées sans toute cette affaire. Et il obtiendra de l'Union européenne et des créanciers plus que s'il n'avait pas joué cette partie de poker extrêmement risquée, qui constitue en outre un fusil à un coup, parce qu'il ne pourra pas ressortir cette carte encore une fois.

Il aura en fait montré qu'il aura pressé jusqu'au bout le cœur de pierre des Allemands. Même s'il obtient assez peu sur le papier, et quand bien même il n'aurait rien obtenu du tout, l'intensité dramatique qu'il y a eu autour de ce référendum et du risque de Grexit, fait que les Grecs, tout mécontents de ces mesures qu'ils soient, n'en rendront pas coupable Alexis Tsipras, et se diront probablement qu'il a obtenu le mieux qu'on puisse obtenir pour la Grèce.

Je n'achète absolument pas le scénario, avancé par certains, selon lequel il comptait sur une victoire du oui au référendum pour pouvoir revenir devant les Européens ou démissionner en disant qu'il se soumet à la volonté du peuple.

Je pense qu'il avait conscience dès le départ qu'il était pris entre le marteau et l'enclume, qu'il n'avait pas d'autres options que de faire plus qu'un pas en direction des créanciers, alors qu'il n'avait pas été élu pour cela. Donc il allait trahir sa promesse électorale, le cœur de ce pourquoi il avait été élu. Le seul moyen de faire passer cela, c'était de monter ce scénario.

N.G.