BFM Business
International

La machine allemande tourne au ralenti, mais elle est loin d’être à l’arrêt

-

- - Hannibal Hanschke

Outre-Rhin, l’industrie montre des signes d’essoufflement depuis plusieurs mois. Les tensions commerciales et le ralentissement économique mondial pèsent sur une économie allemande dépendante de ses exportations.

Les mauvaises nouvelles s’accumulent de l’autre côté du Rhin. Le constructeur automobile Daimler, maison-mère de Mercedes-Benz, abaissait la semaine passée pour la seconde fois ses prévisions de résultats annuels, invoquant une conjoncture automobile défavorable. Quelques jours après une annonce similaire du géant de la chimie BASF, qui tablait sur un recul de 30% de son bénéfice, et avait déjà annoncé le mois dernier la suppression de 6.000 emplois d’ici 2021. Au début du mois de juin, le conglomérat Siemens ajoutait 2.700 suppressions aux 10.000 réductions déjà prévues dans le monde.

Le voisin allemand serait-il à bout de souffle ? Si certaines difficultés propres à ces entreprises peuvent être pointées du doigt, elles n’en demeurent pas moins symptomatiques d’une industrie en perte de vitesse. Les signaux sont à l’orange pour la première économie européenne ces derniers mois : après les inquiétudes d’avril, la production industrielle s’est timidement reprise au mois de mai, progressant de 0,3% sur un mois, sans parvenir à éloigner le spectre du net repli sur une année. « Il faut s'attendre à ce que la production industrielle continue de souffrir », mettait en garde le ministère de l’Economie.

Prévisions météorologiques des prochains mois, les commandes industrielles semblent en effet annonciatrices d’un mauvais temps. Grevées par le puissant secteur automobile, elles perdaient plus de 2% au mois de mai, minant les espoirs d’une reprise après plusieurs mois de déclin. Le gouvernement allemand tirait la sonnette d’alarme dès le mois précédent en divisant par deux les prévisions de croissance pour 2019, ramenées à 0,5%, mais maintenait l’objectif d’un désormais triplement de ce chiffre en 2020. Berlin l’assure : il ne s’agit que d’une mauvaise passe conjoncturelle.

Et n’a pas tout à fait tort. La mise en œuvre ratée des nouvelles normes environnementales WLTP, qui avait contraint le géant Volkswagen à interrompre la commercialisation de plusieurs de ses modèles, avait ouvert le bal l’été dernier. Les tensions commerciales, et le ralentissement économique mondial inhérent, ont enfoncé le clou. « Le modèle allemand repose depuis la fin des années 1990 sur des exportations fortes, avec une balance commerciale excédentaire depuis plusieurs années, de manière presque insolente », observe Anaïs Voy-Gillis, consultante au sein du cabinet June Partners.

« Machine à exporter »

L’Allemagne, en une vingtaine d’années, s’est transformée en une véritable « machine à exporter ». La guerre commerciale entre Washington et Pékin, le ralentissement des pays émergents, la montée du protectionnisme : l’effet est immédiat. D’autant plus que le pays a misé sur la croissance chinoise, et le gigantesque marché qu’elle représente, pour assurer sa pérennité. A titre d’exemple, les ventes de BASF dégringolent au premier semestre de ce côté-là de l’Asie : le géant de la chimie, fournisseur de produits plastiques pour le secteur automobile, souffre par ricochet du recul de la production chinoise.

« Cette dépendance aux exportations est au cœur du modèle allemand. Toute sa politique de réduction du chômage, et pour faire face au déclin démographique inexorable, a été fondée sur cette stratégie. Les pays d’Europe centrale ont été intégrés dans sa chaîne de production : l’Allemagne, dernier maillon de cette chaîne, réexporte ensuite vers l’Europe et le monde. Ce modèle n’était, jusqu’à présent, que défavorable à ses voisins européens. Avec le retournement conjoncturel des derniers mois, il l’est aussi devenu pour elle », développe Rémi Bourgeot, économiste à l’IRIS.

La morosité mondiale n’est néanmoins pas la seule responsable. Sur un grand nombre de sujets de fonds, l’industrie allemande se repose sur une innovation incrémentale – c’est-à-dire par petites touches plutôt que radicale – efficace, mais lente. Or, dans un contexte de mutation technologique majeure à l’échelle mondiale, le pays prend du retard sur les technologies de rupture qui construisent l’industrie des prochaines décennies. L’Allemagne, pourtant championne de l’automobile, pourrait rater le coche du véhicule électrique et de la voiture autonome.

« Dans les machines-outils, l’autre pilier de son industrie, l’Allemagne a beaucoup exporté vers la Chine ces dernières années. La Chine, dont le savoir-faire technologique progresse constamment, s’est mise à produire ses propres équipements. Elle devient de plus en plus autonome, et n’a presque plus besoin des machines allemandes, mais aussi de plus en plus compétitive. Les exportations de ce type d’équipements chutent depuis la fin de l’année passée. L’Allemagne a perdu ces parts de marché et a vu émerger une nouvelle concurrente », avance Philippe Vilas Boas, économiste chez Crédit Agricole.

Une industrie solide

Mais l’industrie allemande reste solide. Outre une compensation par les services, qui viennent pousser la croissance, elle bénéficie d’une demande intérieure solide, portée par les hausses salariales et des promesses de dépenses publiques. De nombreux industriels doivent encore prendre le tournant de la révolution numérique, mais les investissements dans la recherche et développement n’en sont pas moins massifs, et l’Allemagne n’a pas perdu son titre de championne. Plus concrètement : le rebond allemand, que l’on attendait au début de l’année, devrait débarquer dans les derniers mois.

« Sur certains sujets très médiatisés comme le diesel, l’image de puissance de l’Allemagne et de ses industriels a été écornée. Néanmoins, le succès de l’Allemagne repose essentiellement sur les entreprises du Mittelstand, qui sont généralement des PME et ETI peu connues du grand public mais leader dans leur secteur. Ces entreprises se renouvellent, innovent et restent de grandes actrices du monde industriel. Les fondamentaux du modèle industriel allemand reste solide », souligne Anaïs Voy-Gillis. Une remise en cause du florissant « made in Germany » n’est pas encore à l’ordre du jour.

Jérémy BRUNO