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La Palestine, une grande nation de start-up en devenir?

La start-up palestinienne Red Crow a créé un outil numérique qui recense en temps réel les incidents de sécurité dans les territoires palestiniens.

La start-up palestinienne Red Crow a créé un outil numérique qui recense en temps réel les incidents de sécurité dans les territoires palestiniens. - Abbas Momani - AFP

En dépit des contraintes qui pèsent sur les territoires palestiniens, l'économie numérique s'y développe à grande vitesse. Et tout un écosystème de start-up et d'incubateurs s'y tisse, plus ou moins solidement.

La Bourse de Naplouse vient d'être déclarée conforme aux standards de la finance internationale. En septembre, elle a obtenu de FTSE Russel, le leader mondial de la fourniture d'indice, le statut de "place de marché frontalière". La Bourse palestinienne, créée il y a deux décennies, intéresse de plus en plus de gérants de portefeuilles et d'investisseurs institutionnels du monde. Sur les six derniers mois, le volume de transactions y a dépassé celui de la principale place financière marocaine. Et sa croissance, de 3,2%, devance allègrement celle de tout le Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. C'est loin d'être anecdotique pour les 49 sociétés qui y sont cotées, et pour leurs petites sœurs pas encore en Bourse.

"Est-ce que la mise à niveau FTSE garantit que les investisseurs du Royaume-Uni, des États-Unis ou d'ailleurs vont participer aux échanges à Naplouse ? Pas sûr. Mais cela améliorera nos chances d'être vus et celles de nos entreprises d'être remarquées", souligne Samir Hulileh, le vice-président de la Bourse de Palestine.

Des start-up high-tech dans des territoires sans 3G

La Palestine n'en est pas encore au point d'être une "nation start-up", à l'instar de sa voisine israélienne, et de ses pépites Waze ou MobilEye. Mais, sans même encore avoir la 3G, l'économie numérique palestinienne est en plein boom. En dépit de l'instabilité politique, du manque de ressources en eau potable, du blocus israélien, du difficile franchissement des frontières pour les hommes et les marchandises. L'ère internet a permis le développement de tout un tissu économique composé de start-up innovantes, d'incubateurs, d'espaces de coworking et de fonds d'investissement.

"Ce qui est génial avec les start-up, c'est qu'on peut travailler de n'importe où", expliquait à l'AFP Peter Abou al-Zolof, fondateur de Mashvisor, un site spécialisé dans l'immobilier américain, mais fondé à Ramallah. Avec le virtuel, il n'y a "ni murs ni check-points", et "personne ne peut vous dire 'vous ne pouvez pas vendre ceci' ou 'vous ne pouvez pas sortir ceci du pays'", ajoute-t-il.

Le blocus stimule la créativité 

Parmi ces start-up, certaines répondent aux problématiques auxquelles sont confrontés les Palestiniens quotidiennement. Alors qu'ils n'ont accès à l'énergie que 8 heures par jour, de jeunes entrepreneurs ont créé "Walk and Charge", une batterie qui se recharge quand on marche, ou "Bold Knot", un chargeur de la taille d'un porte-clé qui divise par deux le temps de chargement de son smartphone.

Il y a encore Mobistine, une app' pour les femmes enceintes qui sont ainsi en contact direct avec leur médecin, et Blood Pressure, qui permet aux cardiaques de mesurer eux-mêmes leur tension artérielle et de transmettre les résultats à leur médecin. Autre outil devenu indispensable aux ONG et institutions qui agissent dans la région: Red Crow, un service en ligne qui évalue en temps réel les incidents de sécurité dans la région.

De la vente de lingerie et un Booking.com oriental

Mais la créativité des entrepreneurs palestiniens, majoritairement formés aux États-Unis et en Grande-Bretagne, ne se limite pas à rendre la vie plus facile dans les territoires. Une jeune palestinienne a ainsi développé Kenz, une plateforme de vente de lingerie en ligne utilisée dans tout le Moyen-Orient. Souktel, une autre start-up, parmi les premières fondées dans les territoires palestiniens, est devenue célèbre pour avoir créé l'application JobMatch, qui met en relation employeurs et demandeurs d'emploi dans plus de 20 pays. Et peut-être la plus connue d'entre elles, Yamsafer, est aujourd'hui considérée comme le Booking.com du monde arabe.

Dans des territoires où le taux de chômage excède les 25% de la population (et même les 45% à Gaza), Yamsafer emploie 70 personnes à Ramallah. Google et Cisco y ont investi en 2012, via Sadara Ventures, un fonds créé par un Palestinien, ancien de Microsoft à Seattle, et revenu au pays. Pour sa deuxième levée de fonds, l'entreprise a récolté 3,5 millions de dollars, le plus haut montant jamais atteint pour une entreprise palestinienne.

Un risque de bulle?

Avec des montants moins remarquables, les 200 start-up du territoire attirent de plus en plus de capitaux. Et autour d'elles, une dizaine d'incubateurs ont fleuri, mettant à disposition des entrepreneurs des locaux, des labos, des salles de tests, des aides au financement, des formations, etc. Comme FastForward, E-zone, Gaza Sky Geek ou encore la pépinière Leaders, en Cisjordanie. La secrétaire d'État au Numérique, Axelle Lemaire, s'est d'ailleurs rendue sur son site en septembre, y rencontrer ses talents les plus prometteurs, raconte Libération.

Pour autant, les perspectives économiques demeurent inquiétantes, selon la Banque mondiale. À cause du blocus israélien et des restrictions qui pénalisent l'économie. Mais aussi, paradoxalement, en raison du flux massif d'investissement dirigé vers la Palestine, souligne le Financial Times. Des investissements issus de la diaspora palestinienne ou des programmes internationaux d'aide au développement, dont la Palestine est l'un des premiers bénéficiaires au monde. Des pourvoyeurs de fonds reconnaîtraient hors micro qu'une sorte de bulle de la demande est en train de se créer. Avec d'un côté, des montagnes de cash à investir, mais de l'autre, pas assez d'entrepreneurs et de sociétés réellement en mesure de suivre un business plan solide.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco