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La Russie, la Chine et les Etats-Unis regardent vers le Nord

L'Arctique posséderait des ressources naturelles, notamment des hydrocarbures, considérables.

L'Arctique posséderait des ressources naturelles, notamment des hydrocarbures, considérables. - Alexander NEMENOV / AFP

Si certains s’alarment du réchauffement climatique, d’autres y voient aussi une opportunité économique. En Arctique, la fonte des glaces serait prometteuse, et suscite déjà les convoitises. Fabien Carlet, chercheur à l’IRIS, a répondu à nos questions.

L’Arctique serait-il le prochain champ de bataille économique du globe ? Dans cette région riche en ressources naturelles et opportunités économiques, les appétits sont grands. Dernier exemple en date : le président américain Donald Trump confirmait dimanche son intérêt pour acheter le Groenland au Danemark. Les réponses de Fabien Carlet, chercheur à l’IRIS, spécialisé sur les enjeux géopolitiques et économiques en Arctique.

La Chine, en ayant investi près de 90 milliards de dollars entre 2012 et 2017, est l’un des acteurs incontournables de la région. Plus de 1.400 kilomètres séparent pourtant le cercle polaire du point le plus septentrional du pays. Que vient-elle chercher dans le Grand Nord ?

Fabien Carlet : La première raison est économique. L’Arctique possède des ressources naturelles considérables, des hydrocarbures mais aussi des minéraux et métaux rares. A l’échelle mondiale, la Chine dispose aujourd’hui d’un quasi-monopole sur les terres rares et lorgne donc sur cette manne potentielle supplémentaire au Nord. Par ailleurs, la Chine s’intéresse aussi à cette nouvelle route maritime dont la navigabilité est accrue du fait du réchauffement climatique, qui lui permettrait notamment de limiter sa dépendance du détroit de Malacca [qui relie l’océan Pacifique et l’océan Indien].

Sur le papier, on estime que la route maritime arctique raccourcirait d’un tiers le trajet entre l’Europe et l’Asie mais il demeure assez compliqué de naviguer dans l’Arctique. La météo est difficile et changeante, les eaux sont moins profondes, les bateaux doivent éviter des icebergs épars (« growlers »), les signaux GPS et radio haute fréquence fonctionnent plus difficilement. Ce sont des impératifs de navigation que les armateurs commerciaux ne rencontrent pas dans les mers chaudes. En termes de trafic maritime, ce n’est actuellement pas le « canal de Suez du Nord ».

Pour l’inciter à passer par le Nord, les Russes construisent des infrastructures le long de leur littoral arctique afin de développer la Route maritime du Nord (« Northern Sea Route ») que les armateurs chinois regardent et dont ils prépareraient le développement à horizon dix, quinze, vingt ans. Ce partenariat stratégique avec Moscou en Arctique est vu par la Chine comme un avantage comparatif stratégique notable à long terme.

Le réchauffement climatique, beaucoup plus rapide dans cette région, pourrait en effet libérer des glaces d’immenses réserves d'hydrocarbures et de minerais inexploitées. Des richesses potentielles qui attisent les tensions ?

Il faut se méfier de ce terme lorsque l’on évoque des « tensions » en Arctique. Il n’y a pas aujourd’hui véritablement de tensions géopolitiques à l’échelle d’autres régions du monde. Mais s’il ne faut pas projeter l’image de l’actualité géopolitique, en mer de Chine méridionale par exemple, sur l’océan Arctique, il faut tout de même reconnaître les enjeux géopolitiques considérables de cet espace. N’oublions pas que l’Arctique est un territoire immense, faiblement peuplé et où la densité d’infrastructures demeure relativement faible.

Pour revenir aux ressources naturelles en Arctique, elles n’attisent pas, en tant que telles, les tensions entre les pays de la région. Comme dans toutes nouvelles opportunités, il y a des gagnants et des perdants. L’exploitation de ces ressources est déterminante pour la Russie, pour la pérennité de son économie, mais l’est dans une moindre mesure pour le Canada ou les Etats-Unis. Au-delà des tensions, c’est une course pour savoir qui profitera le plus du potentiel économique arctique pour répondre à la demande mondiale croissante en énergie.

On évoque régulièrement le rapport américain de 2008 estimant que 13% des réserves de pétrole et 30% des réserves de gaz non découvertes y seraient situées, avec toute la prudence qu’il convient d’accorder à ces chiffres. Les ressources sont en effet considérables – notamment pour le gaz dans l’Arctique russe – mais il faut nuancer. Ce n’est pas uniquement le réchauffement climatique qui rend possible leur exploitation, ce sont aussi les évolutions technologiques et la forte croissance de la demande énergétique. L’exploitation du nickel en Russie ou du cobalt, de l’or et du diamant au Canada est encore freinée par les obstacles d’accessibilité, réglementaires et/ou de financement.

L'Europe trouve-t-elle sa place dans l'Arctique entre la Russie, les Etats-Unis et la Chine ?

La politique arctique suivie par l'Union européenne depuis quelques années est avant tout orientée vers le développement de « l'économie bleue » [l'exploitation commerciale des ressources océaniques], la production énergétique et la protection de l'environnement. La Commission européenne réfléchit néanmoins à revoir sa politique arctique pour l'adapter aux nouveaux enjeux, en l'occurrence l'arrivée de la Chine dans la région. Ce sont avant tout ses intérêts économiques que l'Europe cherche à défendre. Les intérêts politiques de l'UE dans l'Arctique découlent de cela.

Jérémy BRUNO