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Le budget italien est une épreuve de vérité

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Si les Européens laissent les marchés financiers arbitrer l’affrontement entre Rome et Bruxelles, ils vont briser pour longtemps l’idée d’un renforcement de la zone Euro

La séquence sera dévastatrice. A quelques mois des élections européennes c’est Goldman Sachs qui va faire le ménage au cœur de la zone Euro. Je dis Goldman Sachs, j’aurais pu prendre n’importe quelle institution financière anglo-saxonne en charge d’arbitrer sur la dette italienne, qui sera le juge de paix ultime de l’affrontement entre la commission de Bruxelles et le gouvernement de Rome.

Mario Draghi et banque centrale européenne pourraient être cet arbitre. Ils en ont largement les moyens, ils ne semblent pas en avoir la volonté. On invoque des obstacles techniques à l’intervention de la BCE : la part de dette italienne qu’elle peut détenir est théoriquement limitée par les traités et l’on serait arrivé au niveau maximum. C’est une blague ? Quand on voit tout ce qu’on a fait avaler aux traités en matière d’innovation monétaire depuis 2012, on a du mal à croire que cet obstacle soit insurmontable (si, si ! me diront les spécialistes, qui disaient la même chose avant de voir débouler 2.000 milliards€ d’actif dans le bilan de la BCE depuis l’été 2014). En tout cas Mario Draghi n’a pas l’air de vouloir agir quand il dit aux dirigeants italiens de « se calmer » sur leur budget, il leur prête même une volonté de sortie de la Zone Euro qu’ils ont abandonnée depuis des semaines: «un budget expansionniste dans un pays fortement endetté devient beaucoup plus compliqué si des gens commencent à mettre l’Euro en cause (…) ces prises de position ont provoqué de réels dégâts et le résultat est que les ménages et les entreprises paient des taux d’intérêts plus élevés sur leurs prêts », dit le président de la BCE, faisant mine de ne pas savoir que ce sont bien ses déclarations à lui, qui peuvent amener de la tension sur la dette italienne.

Bataille de légitimités

Rome brandit sa légitimité démocratique. Elle applique le programme pour lequel ont voté les électeurs italiens : baisse des impôts, revenu minimum, retour à la retraite à 60 ans. Rome peut même ajouter qu’elle a fait des compromis, qu’il y avait bien plus dans le programme, et qu’on a pris en compte une partie des équilibres qu’impose la zone Euro. Bruxelles répond avec la légitimité des traités signés et ratifiés : limitation des déficits et surtout, pour l’Italie, de l’endettement. Ce qui serait crédible si ces mêmes traités avaient été respectés par d’autres.

Car c’est bien Pierre Moscovici, l'ancien ministre d'une France qui sort à peine d'une procédure pour déficit excessif, c’est bien lui qui va se présenter à Rome sous sa casquette de commissaire européen pour donner des leçons de vertu. Comment les Italiens peuvent-ils admettre ça ? La situation pourrait même apparaître comme une forme de provocation. Et rendons justice à Pierre Moscovici, il n’est que l’héritier de 40 ans de laxisme sur la dépense publique, et ses successeurs semblent bien se mettre dans ses pas, malgré une croissance bien plus favorable. Comment peut-on dignement venir dire aux Italiens qu’ils doivent plier, nous qui ne sommes pas sûr de respecter les 3% l’année prochaine ? On ne peut pas

Qui va défendre la Ligue et 5 étoiles ? 

Et c’est là que les choses sont graves. Le scénario du film semble écrit : Bruxelles rejette le budget, Rome ne veut rien entendre, Rome ne peut rien entendre car ce budget est celui de pirates de la politique dont la raison d’être est justement de ne pas plier; la pression monte, les taux d’intérêts sur la dette italienne flambent et les pirates doivent finalement rendre les armes, comme l’avait fait Berlusconi en 2011.

Dévastateur ! A quelques mois des élections européennes, la démonstration que la souveraineté bureaucratique bruxelloise emporte tout, sous la surveillance vigilante de la finance anglo-saxonne. Car c’est bien ainsi que les choses vont se passer. Comment plaider derrière ça pour la construction européenne ? Avec quels arguments ? La situation pourrait être très intéressante pour notre président de la république. Lui qui dénonçait le « fétichisme » des allemands sur leurs excédents et leurs comptes publics devrait se dresser pour défendre une forme de souveraineté populaire. Il ne le fera pas, évidemment. Les défenseurs de la construction européenne sont pris au piège. S’il est impensable de protéger la Ligue et 5 étoiles du fait de ce qu’ils représentent, alors il faut admettre une bonne fois pour toutes que la Zone Euro n’est plus une expression démocratique, mais une association de comptables

Stéphane SOUMIER