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Le grand retour de l'Etat interventionniste dans l'économie mondiale

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La crise économique, d'une violence inouïe, a forcé les Etats à sauver des groupes menacés de faillite. Surtout, cela ne se fera pas sans contrepartie que ce soit en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Les Etats veulent désormais reprendre la main.

En l'espace d'un mois, c'est tout un programme, toute une politique économique qui s'effondre. En France, le chômage poursuivait sa baisse, le trou de la Sécu s'effaçait et même la croissance tenait le choc malgré la crise des gilets jaunes, malgré la grève massive dans les transports. Mais en l'espace d'un mois, le chômage a explosé, le déficit atteint de nouveaux sommets et la récession s'annonce comme la pire de l'histoire.

Et c'est donc la stratégie économique en place qui vacille, à grands coups de milliards pour sauver des entreprises asphyxiées par le confinement. L'année 2019 devait, par exemple, sonner le glas de certaines manies françaises dont celle de l'interventionnisme étatique. Avec deux claques pour l'exécutif l'année dernière. D'abord le raid boursier surprise sur Air France-KLM des Pays-Bas, lassés des pressions de Bercy sur le groupe international. Ensuite, l'échec cuisant de la fusion entre Renault et Fiat-Chrysler, directement imputé à l'exécutif même si celui-ci s'en est toujours défendu.

Alors le gouvernement s'était finalement décidé à prendre du recul. La nomination du canadien Ben Smith à la tête du groupe aérien en 2018 puis la validation de l'Italien Luca de Meo comme directeur général du constructeur automobile français en janvier dernier (alors que les deux entreprises n'avaient jamais eu d'étrangers à leur tête) montraient la volonté de l'Etat de promouvoir des techniciens plutôt que des dirigeants en prise avec le monde politique. Et donc de laisser la main sur les décisions.

Nouvelles exigences de l'Etat

Mais tout cela, c'était avant le coronavirus. Le taiseux Ben Smith, qui avait préféré laisser mourir XL Airways plutôt que de reprendre cette compagnie trop lourde à supporter pour ses finances, n'a désormais plus les moyens de négocier avec l'exécutif. Air France a ainsi obtenu un plan d'aide publique de 7 milliards d'euros dont 3 milliards via un prêt d'actionnaire. Si une nationalisation n'est donc pas à l'ordre du jour, le remboursement semble déjà trop lourd à supporter pour une compagnie aérienne dont la plupart des avions sont cloués au sol. Et il est possible, voire probable, que l'Etat finisse par échanger cette dette contre une nouvelle part du capital. Le constat pourrait aussi être le même avec Renault qui vient d'obtenir un prêt de 5 milliards d'euros de l'Etat français.

Les deux groupes devront désormais se plier aux exigences de l'Etat français. Air France va renoncer à des lignes domestiques, accentuer ses efforts environnementaux et surtout s'interdire un plan social. Renault devra probablement répondre aux mêmes exigences. Le très attendu Luca de Meo, qui doit prendre les rênes de la marque au losange en juillet n'aura pas les coudées aussi franches qu'espérées en janvier dernier… Seul Airbus, très attaché à son indépendance, repousse encore l'aide de l'Etat et préfère se tourner vers les banques. Pendant combien de temps?

Pression sur Lufthansa

Mais le grand retour de l'Etat interventionniste ne s'arrête pas aux frontières françaises. Cette semaine, Lufthansa aurait aussi décliné la proposition du gouvernement fédéral allemand : 9 milliards d'euros d'aides en échange de 25% du capital et d'une minorité de blocage au conseil d'administration. Impensable pour la compagnie dans un pays où l'Etat est rarement le bienvenu dans les arcanes des groupes.

Aux Etats-Unis, les aides de l'Etat ne sont pas non plus sans de sérieuses contreparties. La situation dramatique dans laquelle se trouve Boeing laisse d'ailleurs entrevoir une prise de capital de l'Etat fédéral, voire une nationalisation. Des manoeuvres là aussi rejetées par le constructeur mais ses finances, déjà fragilisées par la crise du 737 MAX, lui laissent une marge de manœuvre réduite à peau de chagrin.

Virgin dans l'attente

Au Royaume-Uni, le retour de Boris Johnson avait déjà réenclenché, en janvier dernier, des nationalisations (en l'occurrence des lignes ferroviaires dans le nord de l'Angleterre et des services locaux). Pour autant, le pays n'a pas encore pris le virage interventionniste, se contentant encore d'aider les entreprises en difficulté avec des prêts. Reste la situation de Virgin Atlantic de Richard Branson, à la recherche d'un nouvel actionnaire pour sauver sa compagnie. Londres sera-t-il de la partie?

Une chose semble sûre: plus les déficits publics des pays du monde entier explosent pour maintenir à flot les entreprises, plus le poids des Etats se fera sentir dans l'économie mondiale. Et la crise est loin d'être terminée.

Thomas Leroy