"Les banques centrales doivent être au coeur des monnaies numériques", insiste Benoît Coeuré

Au micro de BFM Business depuis le Forum de Davos, le chef du pôle innovation de la BRI (Banque des règlements internationaux) explique pourquoi et comment les banques centrales doivent s'emparer du sujet des cryptomonnaies. Mais sans tomber dans l'urgence.

La vague des cryptomonnaies ou monnaies numériques fascine autant qu'elle inquiète. Comment les Etats et les banques centrales doivent-ils se positionner, la monnaie étant un élément central de la souveraineté d'un pays?

Pour Benoît Coeuré, ancien membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) et actuel chef du pôle innovation de la BRI (Banque des règlements internationaux), le secteur public a clairement pris le sujet à bras le corps afin de ne pas se laisser déborder.

Au micro de BFM Business ce jeudi depuis le Forum de Davos, il explique pourquoi et comment les banques centrales doivent s'emparer du sujet des cryptomonnaies.

Ne pas laisser filer "le coeur du système"

"On voit un certain nombre d'innovations qui sont nées dans le secteur privé parfois de manière disruptive et même provocative (...) qui maintenant sont en train d'être appropriées par le secteur public. Pourquoi? Parce qu'on se rend compte que si on laisse proliférer des monnaies émises par des émetteurs privés de manière non contrôlée, on risque d'affecter ce qui est au coeur de la stabilité du secteur financier qui est la confiance dans la monnaie. Ce qui est au coeur du système doit rester le domaine des banques centrales, ça doit rester de la monnaie émise par les banques centrales. Tout le reste doit être géré par le secteur privé avec de l'innovation, avec des expériences, etc. Mais le coeur du système, c'est la monnaie émise par les banques centrales", explique Benoît Coeuré.

"Tout l'enjeu pour nous, c'est de repérer ce qui est utile en termes d'amélioration des paiements pour rendre les paiements entre les particuliers moins chers et plus rapides, ce qui est très important", détaille-t-il. Avant de prévenir qu'il faut "voir ce qui est bien, retenir ce qui est bien mais en même temps identifier ce qui peut être dangereux pour la stabilité du système".

"Je ne crois pas qu'il y ait urgence"

Ceci étant dit, comment les banques centrales vont-elles atteindre cet objectif notamment avec les politique's offensives des géants privés comme Facebook (avec son projet Libra)? "Il y a beaucoup d'initiatives sur les monnaies numériques. Il y a d'abord un travail réglementaire sur la régulation des monnaies numériques et en particulier la régulation de ce qu'on appelle les 'stable coins'. (...) Et ça c'est fait par le conseil de stabilité financière qui est hébergé par la BRI à Bâle et qui regroupe tous les grands régulateurs mondiaux. Donc il y a un groupe de travail là-dessus qui va rendre des conclusions au mois d'avril", souligne Benoît Coeuré. 

"Ensuite, il y a des projets développés par les banques centrales elles mêmes. Et la Banque des règlements internationaux a créé ce laboratoire d'innovation, ce centre d'innovation qui va travailler plus particulièrement avec les banques centrales de Singapour, de Hong Kong et de Suisse et avec d'autres partenariats à l'avenir qui va développer ses propres projets (...) pour voir ce qui marche, ce qui ne marche pas et ce qui peut être intéressant pour la communauté des banques centrales. Et troisième dimension, on va travailler avec toutes les banques centrales qui ne font pas partie de la BRI, notamment dans les pays en développement, avec le FMI, avec la Banque mondiale, avec des fondations privées pour ne pas manquer cette dimension d'inclusion financière dans le monde en développement qui est extrêmement importante".

Pour autant, Benoît Coeuré estime qu'il ne faut pas se précipiter. "Je ne crois pas qu'il y ait urgence. Il faut bien mesurer les conséquences des choix qui vont être faits. Le débat sur la monnaie numérique de banque centrale ce n'est pas un débat technologique. (...) La question la plus importante c'est: 'Quels sont les principes?' Et là encore il y a un principe clair qui doit être: le centre du système financier c'est de la monnaie de banque centrale. Et quels sont les grands choix d'organisation? Il faut prendre le temps nécessaire pour trancher ses débats".

Olivier Chicheportiche