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Les risques de conflits d'intérêts pourraient torpiller la candidature de Thierry Breton à la Commission

Nouveau candidat d'Emmanuel Macron pour la place de commissaire européen à la politique industrielle et au marché intérieur, l'ex-PDG d'Atos présente néanmoins un point faible: il s'occupera du marché des supercalculateurs, un domaine où son groupe est le leader incontesté.

"De la puissance de calcul, toujours plus de puissance de calcul". Lorsqu'il vient sur le plateau de Good Morning Business, le 4 juin dernier, présenter "Joliot-Curie", un supercalculateur capable de réaliser 22 millions de milliards d'opérations par seconde, Thierry Breton n'imagine probablement pas un changement d'avenir immédiat pour lui. "Quels sont les pays qui peuvent se donner les moyens d’avoir ces supercalculateurs ? Il n’y en a que 3 ou 4 sur la planète. Les Etats-Unis, l’Europe, la Chine et le Japon. En Europe, la France en est le leader" s’enthousiasmait celui qui était encore le PDG d'Atos.

Moins de cinq mois plus tard, "Joliot-Curie" lui parait peut-être moins enthousiasmant. Il faut dire qu'il est désormais le candidat officiel d'Emmanuel Macron pour prendre la place de Sylvie Goulard, retoquée à la Commission européenne.

Et voici l'ancien ministre de l'Economie (2005-2007) propulsé candidat à un des postes les plus importants de l'institution de Bruxelles : commissaire européen à la politique industrielle, au marché intérieur, au numérique, à la défense et à l'espace. Si personne ne doute de ses compétences, lui qui a successivement dirigé Thomson (1997-2002), France Télécom (2002-2005) puis Atos (depuis 2009), le fait qu'il soit en charge du numérique fait grincer quelques dents.

Subventions européennes en faveur d'Atos

"Dans le portefeuille, il y aura toute la question du numérique, et notamment des supercalculateurs. (…) Or, il se trouve qu'Atos est numéro 1 sur cela et donc reçoit des subventions" européennes, résumait mercredi sur BFM Business Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

D'autant plus que la question des supercalculateurs fait l'objet d'un budget d'un milliard d'euros d'investissement au niveau européen, baptisé EuroHPC. Et Atos est la pointe de cette ambition européenne. "La Commission a fini par débloquer 250 millions d'euros dans le cadre d'un programme de développement d'un processeur purement européen, dont Atos est le chef de file. Bien qu'insuffisant, c'est un début" expliquait encore Thierry Breton aux sénateurs, le 28 mai dernier.

35.3 millions d'euros d'actions

"Il y a une question déontologique qui peut se poser" poursuit Mathieu Plane. "Quelqu'un qui a(vait) une position dominante sur ce marché et qui va réguler après ce marché, ou en tout cas être commissaire en charge du numérique (…) est-ce que ça peut poser un problème?" s'interroge-t-il. "La difficulté sera de montrer qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts entre son poste potentiel de commissaire et son ancien poste de PDG d'Atos."

Même question sur les actions Atos détenues par Thierry Breton. Selon Proxinvest, il possédait 508.085 actions à la fin de l'année 2018, pour une valeur au cours actuel de 35.3 millions d'euros. Evidemment, la Commission européenne devra poser des garde-fous comme, a minima, une gestion déléguée. Mais les parlementaires européens, qui l'auditionneront prochainement, ne manqueront probablement de le questionner sur ces sujets. Et notamment la commission des affaires juridiques. C'est probablement à ce moment-là qu'une solution pourra éventuellement être trouvée.

Déjà passé sous les fourches caudines pour Bercy

Son atout reste, en revanche, sa bonne image. Car les mêmes questions se posaient lorsqu'il est arrivé à Bercy en 2005 avec son passé de président de Thomson et de France Télécom. A l'époque, certains dossiers sensibles avaient ainsi été traités directement par Matignon.

Mais déjà le mélange de genres faisait jaser. "Moralement, Thierry Breton est en position de conflit d’intérêts, ayant gardé de l’amitié pour les personnes de France Télécom. Cela laisse planer une suspicion sur la manière dont il gère ces dossiers" avait taclé, en 2005, Patrick Devedjian, qui faisait pourtant partie du gouvernement, avant l'arrivée de Thierry Breton. 

L'intéressé avait balayé les critiques. "Thierry Breton a toujours fait preuve de rigueur pour éviter tout conflit d’intérêts lorsqu’il était ministre en se déportant sur les dossiers pouvant le concerner", a encore tenté de déminer l'Elysée, ce jeudi, alors que plusieurs voix s'élèvent déjà à gauche et à droite contre cette candidature. Mais cette fois, la situation est différente. A la Commission, pas de tutelle pour reprendre les dossiers gênants. A moins de limiter son portefeuille, Thierry Breton devra donc convaincre les eurodéputés lors des futures auditions. Et après l'affaire Sylvie Goulard, rien n'est encore gagné.

Thomas Leroy