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Lobbying: l’UE s'inquiète de la reconversion de ses députés et commissaires

L'ancien président de la Commission José Manuel Barroso travaille maintenant pour Goldman Sachs

L'ancien président de la Commission José Manuel Barroso travaille maintenant pour Goldman Sachs - Riccardo Savi / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Un rapport émanant de l'instance anti-corruption de l'Union Européenne alerte sur les nombreuses embauches d'ex-députés et commissaires européens dans des organisations de lobbying. Un phénomène qu'elle souhaite endiguer en appliquant une réglementation inspirée du Canada et de la France.

Ils étaient députés ou commissaires européens. Ils exercent désormais dans le domaine privé auprès d’organisations de lobbying ou de grandes sociétés influentes. Pour la première fois, ce phénomène dit des “portes tournantes” a fait l’objet d’un rapport de Transparency International EU, l’instance anti-corruption de Bruxelles. Les observations qu’elle délivre rendent compte de l’ampleur de cette pratique au sein du Parlement et de la Commission européenne. 

Dans son registre de la transparence, l'Union européenne distingue six catégories regroupant des entités dont les activités de lobbying sont susceptibles d'influencer l’élaboration des politiques européennes. Qu'ils s'agissent de cabinets de consultants spécialisés ou encore de groupements professionnels (entreprises), tous peuvent être amenés à embaucher des anciens fonctionnaires de l'UE. De quoi soulever des suspicions sur le rôle exact joué par lesdits fonctionnaires dans l'entreprise. Dernier exemple en date, la très controversée embauche de José Manuel Barroso par la banque d’affaires Goldman Sachs en septembre 2016. 

Comme lui, ils sont nombreux à s’être tournés vers des organisations inscrites au registre des lobbyistes de l’UE. C’est le cas de plus de 50% des ex-commissaires et 30% des ex-députés du Parlement, selon Transparency International EU qui a analysé 512 dossiers. Le rapport indique que “les entreprises emploient des anciens fonctionnaires pour influencer et se rapprocher de l’élaboration des lois”.

Par souci de transparence, les parcours professionnels des personnes concernées ont été publiés sur internet. On y apprend notamment que 26 eurodéputés ayant quitté le Parlement européen en 2014 à la suite des élections travaillent actuellement pour les cabinets de lobbying à Bruxelles. De la même manière, un tiers des commissaires de la seconde commission José Manuel Barroso exercent aujourd’hui dans le secteur privé au sein de puissantes sociétés telles que Uber, ArcelorMittal, Goldman Sachs, Volkswagen ou encore Bank of America Merrill Lynch. Au total, au moins 20% des membres d’organisations de lobbying de Bruxelles ont déjà travaillé pour une institution européenne. Chez Google, "50% des lobbyistes enregistrés pour le compte de la société ont travaillé pour une institution européenne", conférant au géant américain le titre de société la plus influente de l’UE.

Un manque criant de réglementations

Si Transparency International EU reconnaît que le phénomène des “portes tournantes” peut donner lieu à des résultats positifs grâce à l’échange de connaissances et de personnel entre les secteurs public et privé, elle s’inquiète des nombreux risques inhérents à cette pratique (trafic d’influence, conflits d’intérêts, etc.). "Toutes les organisations peuvent bénéficier de l’expérience d’anciens responsables politiques. Mais il y a un problème dès lors que ceux qui ont travaillé sur l’élaboration des lois de l’UE exercent, dans la minute suivante, du lobbying auprès de leurs anciens collègues sur les mêmes questions", explique Daniel Freund, responsable du plaidoyer Transparency International EU.

Le rapport suggère l’élaboration d’une réglementation spécifique. Il affirme qu'"en ce qui concerne le Parlement, l’absence de règles relatives aux embauches post-mandat est plus qu’inquiétante". "Nous avons besoin de règles pour limiter les risques de conflits d’intérêts et la conquête des institutions par les lobbyistes", poursuit Daniel Freund. Mais pour l’heure, seule une période de "latence" de 18 mois empêche les commissaires, exclusivement, de prétendre à un poste dans une entreprise.

S'inspirer des pratiques internationales exemplaires

Le rapport conseille ainsi de durcir l’encadrement de ces activités, notamment en s’alignant sur des pratiques internationales exemplaires. Il cite à cet égard le Canada et la France et conseille de s’inspirer de leurs organismes de contrôle éthique, jugés "solides". "Le Canada a mis en place une période de latence de cinq ans pour les hauts fonctionnaires, les ministres et membres du Parlement", affirme Transparency International EU.

L’instance anti-corruption vante également "la forte transparence et les règles éthiques qui ont découlé de réformes mises en place depuis le scandale autour de l’ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac" en France. "La Haute Autorité française contraste avec le système fragmenté de l’Union européenne et ses multiples comités ad-hoc en charge des questions d'éthique et d’intégrité", admet le rapport.

Pour Daniel Freund, "des règles d’éthique laxistes et un défaut dans leur mise en œuvre érodent la confiance dans les institutions de l’UE". Il ajoute que "l’affaire Barroso était un argument fantastique pour les eurosceptiques" et que "si l’UE veut se défendre contre les forces nationalistes et populistes croissantes, elle doit alors être un leader mondial en matière d’intégrité et de transparence".

Paul Louis