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Petit manuel d'optimisation fiscale à l'usage des sociétés high-tech

Google et Microsoft utilisent le paradis fiscal des Bermudes

Google et Microsoft utilisent le paradis fiscal des Bermudes - -

Les géants américains de l'Internet utilisent de manière intensive l'évasion fiscale vers les paradis fiscaux. Revue de détail des recettes utilisées.

Beaucoup de multinationales utilisent les paradis fiscaux pour faire de l'évasion fiscale. Mais ce sport est pratiqué de manière systématique et intensive par les géants américains de l'Internet. "Dans l'économie numérique, l'optimisation fiscale est encore plus facile à mettre en oeuvre. Elle ne diffère pas dans sa substance de celle du reste de l'économie. Cependant, elle est plus intense et décuplée dans ses effets", indique le récent rapport de Pierre Colin et Nicolas Collin sur la fiscalité du numérique.

En pratique, les géants de la Silicon Valley utilisent deux recettes principales.

1/ Faire de la figuration

Tous les géants de l'Internet ont créé une filiale en France. Néanmoins, celle-ci déclare un chiffre d'affaires ridicule, qui n'est qu'une fraction des recettes effectivement générées dans l'Hexagone. En pratique, l'essentiel du chiffre d'affaires engrangé en France est facturé depuis l'étranger, assez souvent depuis l'Irlande (cas de Apple, Google, Microsoft...).

Ceci permet de faire fondre le chiffre d'affaires déclaré, et par là les bénéfices et l'impôt. Mais ceci s'effectue en toute légalité. En effet, les filiales françaises n'ont officiellement qu'un rôle subalterne, de support marketing (Google), voire logistique (Amazon). Dans d'autres cas (Microsoft, Cisco), elles utilisent le statut tout à fait légal d'"agent commissionné", selon lequel elles ne touchent qu'une commission sur la vente de produits. Avec ce statut, le chiffre d'affaires déclaré en France "peut être à peine supérieur aux charges, et l'Etat est privé du pouvoir d'imposer la maison-mère", indique le rapport Colin & Collin.

Evidemment, le fisc tente bien de trouver des failles dans ces montages. Il s'est d'abord attaqué au statut d'agent commissionné, estimant que la commission laissée à la filiale française n'était pas assez élevée. Mais il a perdu tous ses procès engagés contre Microsoft sous cet angle.

Le fisc a ensuite adopté un autre angle d'attaque: il soupçonne que la vente est en réalité effectuée par la filiale française, et donc devrait être déclarée en France. C'est l'accusation portée contre Google, Microsoft ou Amazon. Pour étayer ses soupçons, le fisc a mené une série de raids depuis fin 2010 chez Amazon, Yahoo, Google, Microsoft, LinkedIn, Facebook, eBay... A ce stade, de premiers redressements auraient été notifiés. Mais aucune décision de justice n'a encore été rendue.

2/ Faire payer ses idées très cher

Autre technique: faire payer à la filiale française des royalties pour l'utilisation de la marque et/ou de la technologie de l'entreprise. Ceci permet de plomber délibérément le bénéfice de la filiale française, et donc l'impôt sur les bénéfices. Le plus souvent, ces royalties atterissent dans un paradis fiscal à la fiscalité clémente.

Cette astuce est utilisée dans l'économie traditionnelle, par exemple par Ikea ou Starbucks, qui prélève même des royalties sur la méthode de torréfaction du café...

Mais elle est utilisée de manière intensive dans l'Internet, où l'essentiel de la valeur réside dans les logiciels développés par l'entreprise. Typiquement, la maison-mère facture à ses filiales une redevance très élevée pour l'utilisation de ces logiciels.

En pratique, Google, Apple, Microsoft et Facebook utilisent un schéma appelé "double irlandais avec sandwich néerlandais". Dans ce schéma, une filiale irlandaise assure la vente des produits en Europe. Mais la rentabilité de la filiale irlandaise est quasi-nulle: en effet, elle doit payer d'importantes royalties à une autre filiale, installée aux Pays-Bas. Les royalties partent ensuite dans une filiale installée dans un paradis fiscal des Caraïbes. Cette filiale paye elle-même des royalties à la maison-mère américaine pour l'utilisation des logiciels, mais en général bien moins élevés. Par exemple, pour Microsoft, une filiale opérant aux Bermudes revend les brevets trois fois plus chers qu'elle ne les achète, engrangeant ainsi des profits considérables... et surtout non imposés.

Au final, bien qu'installés en Irlande, les géants américains de la high-tech n'y payent donc quasiment aucun impôt. Selon une étude du bureau of Economic Analysis du département du commerce américain, les sociétés américaines payent dans le vert pays seulement 4,2% à 5,3% d'impôt sur les bénéfices, très loin du taux officiel de 12,5%...

Jamal Henni