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Pétrole : l'Opep n'ouvre pas le robinet, incité par Moscou et Ryad

Le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, et le président russe, Vladimir Poutine, au sommet du G20 d'Osaka.

Le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, et le président russe, Vladimir Poutine, au sommet du G20 d'Osaka. - Yuri KADOBNOV / POOL / AFP

Les pays de l’Opep et leurs alliés, la Russie au premier plan, ont annoncé lundi qu’ils prolongeaient pour neuf mois les baisses de production en vigueur depuis le mois de décembre. Analyse.

Face aux tensions géopolitiques autour de l'Iran, à la morosité de la demande et à l’offre abondante, notamment américaine, les quatorze pays membres de l’Opep et leurs dix partenaires, menés par la Russie, avaient décidé en décembre dernier d'abaisser leur production de pétrole pour soutenir les cours de l’or noir. Réunis à Vienne, ils ont annoncé lundi une prolongation de leur accord pour neuf mois dans les mêmes conditions.

L'occasion d'interroger Philippe Sébille-Lopez, docteur en géopolitique et directeur fondateur du cabinet Géopolia spécialiste des enjeux énergétiques. 

Cette prolongation signifie-t-elles que les limitations de productions ont été jusqu’à présent efficaces ou, au contraire, pas suffisamment ?

Philippe Sébille-Lopez : Il est vrai que cet accord a été, d’une certaine manière, efficace puisque les cours du pétrole sont repartis à la hausse depuis le début de l’année après leur chute vertigineuse. Mais il n’est pas le seul facteur à agir sur les cours du brut. Le premier facteur, c’est avant tout la demande mondiale qui demeure très incertaine suite aux tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis.

Le simple maintien de ce niveau réduit de production est-il suffisant pour compenser la hausse moindre qu'attendue de la demande mondiale ? C’est à cela qu’il faut répondre, sans parler de la prime de risque déjà allouée au prix du baril du fait du contexte géopolitique dans le Golfe persique qui, lui, pousse au contraire les prix à la hausse. Ces deux niveaux d'incertitudes sur la demande mondiale font qu’il est difficile d’estimer l'impact de cette décision sur les cours du brut. Un accord ou non, entre la Chine et les États-Unis aura plus d'impact sur les cours du brut.

Ces baisses de production provisoires de l’Opep ne risquent-elles, à terme, pas de s’éterniser ? La production américaine ne cesse d’augmenter ces dernières années, et la pression ne semble pas redescendre au Moyen-Orient.

La croissance de la production pétrolière américaine est en effet fondamentale. La production américaine est à nouveau attendue en hausse cette année, mais je pense qu’elle ne sera pas aussi forte que ces deux dernières années. Aux côtés des géants du secteur se trouvent un grand nombre de petits producteurs de pétrole. Or ces derniers sont très endettés et les prix actuels du brut ne leur offrent qu'une marge financière très réduite. Ils vont certes continuer à forer toujours plus de puits pour tenter au moins de maintenir leur niveau de production, mais ces problématiques financières pourraient tout de même les contraindre à ralentir le rythme.

Reste à savoir comment ce surplus de production américaine va tout de même s’articuler avec la demande mondiale. L’Opep doit composer avec tout cela. Reconduire l’accord de réduction de production constitue donc une évidence, sera-t-il suffisant est une autre question.

Le tandem Moscou-Riyad mène les discussions. Pourquoi l’Arabie saoudite se rapproche-t-elle aujourd’hui de la Russie ? Est-ce une manière de faire face à la florissante production américaine ?

Ce rapprochement n’est pas récent. Il remonte au sommet du G20 d’Hangzhou, en septembre 2016, au moment où les prix du pétrole s’effondraient sous l'effet de la forte hausse de la production américaine. Les États-Unis, la Russie et l’Arabie saoudite sont, et de très loin, les trois premiers producteurs mondiaux. Mais face à la hausse de la production américaine, qui suivait celle de la Russie, l’Arabie saoudite, principal producteur de l'OPEP, se trouvait fragilisée, a fortiori avec des pays membres du cartel comme le Venezuela ou la Libye dont les productions baissaient ou stagnaient. S’allier avec la Russie devenait une nécessité pour renforcer l'impact des décisions de l'Opep sur les marchés mondiaux.

A première vue, cela peut paraître paradoxal vu la forte convergence des intérêts géopolitiques entre Riyad et Washington, notamment vis-à-vis de l’Iran. Mais sur le plan énergétique, ce sont les États-Unis les trouble-fêtes, et les exportations pétrolières saoudiennes vers les États-Unis baissent logiquement. Cette « alliance énergétique » avec Moscou est devenue pour l'Arabie saoudite un complément stratégique indispensable de sa relation géopolitique majeure avec Washington.

L’Arabie saoudite est ainsi en relation étroite avec les deux principales puissances géopolitiques mondiales, sans parler de sa relation privilégiée avec la Chine et le Japon, ses deux premiers clients en matière d'exportations pétrolières.

Jérémy BRUNO