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Pétrole : « la crise au détroit d’Ormuz est un jeu dangereux mais encore maitrisé »

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- - MUMEN KHATIB / AFP

Les cours du pétrole ont connu une relative stabilité depuis le début de l’année. Un faux calme assuré par un équilibre précaire entre des tendances baissières et des tendances haussières. La crise dans le détroit d’Ormuz est particulièrement sensible, rappelle Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques.

Les Etats-Unis peinent à mettre sur pied une coalition pour protéger le stratégique détroit d’Ormuz. Peuvent-ils y arriver ?

Francis Perrin : Les Etats-Unis ont lancé une initiative, tout comme les Britanniques. Est-ce qu’il y aura deux coalitions, une dirigée par les Américains et l’autre dirigée par les Européens, pour sécuriser le trafic pétrolier dans le golfe ? je pense qu’il y en aura au moins une. Les Britanniques sont partants car ils sont en première ligne mais les Allemands ont refusé de s’allier aux Américains sur ce dossier tandis que les Français sont encore entre ces deux lignes.

Quelle est importance du détroit d’Ormuz pour l’industrie pétrolière ?

Le détroit d’Ormuz est un détroit majeur. Le pétrole qui y passe représente 20% de la consommation mondiale du pétrole. C’est aussi un quart des exportations mondiales et un tiers des exportations mondiales par bateau. Ce sont 20 millions de barils par jour qui y passe, en sachant que la consommation mondiale est à peu près de 100 millions de barils par jour.

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D’où vient le pétrole qui y transite ?

C’est le pétrole de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, de l’Irak, du Qatar, du Koweït et de l’Iran. Les trois premiers pays ont néanmoins d’autres voies d’évacuation. L’Arabie saoudite peut exporter une partie de son pétrole vers la mer rouge, les Emirats arabes unis ont une façade maritime juste en dehors du détroit. Et L’Irak a un oléoduc irako-turc qui va jusqu’à la Méditerranée. Mais, dans les faits, ces Etats restent largement dépendants du détroit d’Ormuz.

La crise du détroit d’Ormuz peut-elle avoir un impact important sur les cours du pétrole ?

Depuis le mois de mai, une dizaine de navires ont été affectés. Il y a eu des arraisonnements et des sabotages. Quand vous avez ce type d’incidents, l’industrie pétrolière ne peut pas ne pas s’inquiéter. Ce détroit est le principal détroit dans le monde pour les exportations pétrolières ! La situation est grave, très tendue et peut déboucher sur des crises encore plus graves. Mais à ce jour, elle reste relativement contrôlée. Aucun des navires n’a coulé et ça a évidemment été fait exprès. Si vous mettez une mine au-dessus ou en-dessous de la ligne de floraison, ça ne donne pas le même résultat. Ce sont des incidents qui permettent à l’Iran de dire : ‘je suis une puissance régionale importante. Si vous ne voulez pas me respecter alors je vais vous montrer que j’ai une certaine capacité de nuisance’. C’est un message fort envoyé mais c’est encore un jeu maitrisé. Pour l’instant, il n’y a pas d’affolement sinon, on le verrait avec les prix du pétrole qui sont très réactifs. Mais quand on joue dans une région aussi sensible, ça peut déraper à n’importe quel moment.

Faut-il s’attendre à de forts soubresauts des cours pétroliers ?

Ça peut paraître curieux, mais les prix sont relativement stables. Si on regarde l’ampleur des évolutions, à la hausse et à la baisse, ce n’est pas considérable, comparé aux variations qu’on a pu connaitre, y compris dans les dernières années. Cela peut donner une fausse impression de calme. Les variations de prix sont relativement faibles parce que le marché se caractérise par un équilibre relatif entre des forces haussières et des forces baissières. Trois facteurs expliquent cette relative stabilité. Tout d’abord, le ralentissement de la croissance économique mondiale. S’il y a moins de croissance, cela aura un impact sur la consommation pétrolière. Ensuite, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis plombent les marchés pétroliers depuis plusieurs mois. Le meilleur exemple date du 1er août : un tweet de Trump fait baisser les prix de 6 à 7% en un jour ! Enfin, la production américaine de pétrole va continuer d’augmenter en 2019 et en 2020. Nous ne sommes pas encore arrivés au maximum de la capacité de production mais les États-Unis sont d’ores et déjà le premier producteur de pétrole brut du monde.

Thomas LEROY