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Pourquoi l'Argentine n'en finit plus de sombrer dans la crise économique

Le syndicat concerné, celui des routiers, a dénoncé "une persécution politique".

Le syndicat concerné, celui des routiers, a dénoncé "une persécution politique". - -

Le retour au pouvoir des péronistes risque de compliquer un peu plus l'équation entre le pays et ses créanciers, alors que la troisième économie d’Amérique latine n'en finit plus de sombrer.

Jusqu'où les Argentins vont-ils creuser? Alors qu'une nouvelle crise frappe le pays, ils ont choisi de remettre au pouvoir les péronistes, menés par Alberto Fernandez. Cela n'a rien d'une surprise puisque les primaires de cette élection présidentielle (sorte de répétition générale), qui ont eu lieu en août dernier, avaient déjà été une violente claque pour le chef d'Etat sortant, le libéral Mauricio Macri. Elu de justesse en 2015, ce dernier proposait de redonner un nouveau souffle au pays qui peine à sortir la tête de l’eau depuis la grave crise financière de 2001. L’économie argentine est d'ailleurs de nouveau entrée en récession en 2019. Et Mauricio Macri l'a payé cher. 

Pourtant, le pays, donnait des signes encourageants au début de l’année précédente. Les réformes de l'ancien président et les accords passés avec les créanciers (lui permettant de revenir sur les marchés internationaux) avaient réussi à inverser la tendance. Mais des crises monétaires successives ont finalement brisé les efforts argentins. Le peso argentin était à parité avec le dollar en 2000: il ne vaut plus qu’environ 0,17 dollar aujourd’hui.

Alberto Fernandez, élu président de l'Argentine, le 27 octobre 2019
Alberto Fernandez, élu président de l'Argentine, le 27 octobre 2019 © RONALDO SCHEMIDT / AFP

L'origine de la crise date du début des années 1990. Le pays avait alors décidé de fixer le cours du peso sur celui du dollar. Mais l'économie ne suit pas et la dette n'en finit plus d'enfler, malgré les plans d’austérité réclamés par le FMI. Puis, c'est la descente aux enfers, avec un point de chute en 2001, lorsque Buenos Aires a décidé la cessation de paiement d’une partie de la dette publique, pour tenter de sortir la tête de l'eau. 

S'en est suivi de longues années de négociations et de restructuration de la dette, en partie rachetée par des fonds spéculatifs. Tandis que la plupart des créanciers acceptent de revoir à la baisse leurs exigences, ces fonds (menés notamment par Elliott) réclament leur dû en justice et acquièrent ainsi leur surnom de "fonds vautours". Après une âpre bataille juridique, Mauricio Macri parvient enfin, en 2016, à se débarrasser de ces encombrants créanciers en remboursant les quelque 4 milliards de dollars que le pays leur devait. Grâce à cela, le pays a enfin pu faire son retour sur les marchés financiers, en 2016.

Mais l'accalmie sera de courte durée. Revoici l'Argentine retombée dans ses tourments. La crise financière mondiale est passée par là et le retour de la croissance sur le continent, au cours des années 2010, n'a pas permis à la troisième économie d'Amérique latine de se renforcer.

Depuis, le ralentissement de la Chine, la hausse des taux d’intérêts de la Réserve fédérale américaine et les incertitudes croissantes (la guerre commerciale entre Pékin et Washington en tête) ont rudement éprouvé les monnaies émergentes délaissées pour le dollar, qui sert de valeur refuge. En outre, le déficit argentin, bien qu’il soit passé de 6% du PIB en 2015 à 2,4% en 2018, entretient la fragilité financière du pays.

Le FMI revient dans le jeu

En 2018, peu après avoir remonté le taux directeur de la banque centrale à 40% pour endiguer l'inflation, Mauricio Macri a appelé le Fonds monétaire international à la rescousse pour sauver le pays de l’abîme – et éloigner le spectre déjà connu de la banqueroute. L’institution de Washington lui a concédé un prêt de 57 milliards de dollars de 2018 à 2020 pour stabiliser son économe fragilisée. A ce jour, le pays a reçu environ 44 milliards de dollars du prêt triennal. 

En échange du prêt du FMI, l’Argentine a été contrainte de lancer un plan de rigueur pour réduire le déficit de l’Etat, s’engageant à parvenir à l’équilibre budgétaire en 2019. Or, mise à rude épreuve par la récession économique et exaspérée par les coupes budgétaires, la classe moyenne argentine a fini par réclamer un changement de politique économique. Une gigantesque grève, la cinquième depuis l’arrivée au pouvoir du président de centre-droit en décembre 2015, avait paralysé le pays à la fin du mois de mai pour protester contre l'incapacité du gouvernement à réduire l'inflation.

Une inflation galopante

Cette dernière semble inarrêtable. La hausse des prix devrait dépasser les 55% en 2019. La perte de pouvoir d'achat est considérable pour les 44 millions d’Argentins: deux années d'inflation annuelle d'un pays européen n'égalent pas la hausse mensuelle des prix qui oscille entre 3 et 6% depuis un an. L'inflation est alimentée par la hausse de certains tarifs publics mais surtout par le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Associé à la guerre commerciale, celui-ci a eu pour conséquence de faire chuter la valeur du peso, ce qui a entraîné à son tour une flambée des prix dans la devise argentine. 

Egalement touchés par le ralentissement de l’industrie argentine, qui a licencié ou mis au chômage partiel de nombreux employés, un tiers des Argentins seraient pauvres selon les statistiques reconnues de l'Université catholique argentine (UCA). Ce lundi, le contrôle des changes, instauré début septembre, a été renforcé par Mauricio Macri, qui doit désormais lancer la période de transition de six semaines. "Nous avons réduit le montant maximum que les particuliers peuvent acheter à 200 dollars par mois à des fins d'épargne", a annoncé le président de la Banque centrale, Guido Sandleris.

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- © EMILIANO LASALVIA / AFP

L'arrivée au pouvoir d'Alberto Fernandez, dans un contexte de grogne sociale dans le continent, va-t-elle rebattre les cartes? Elle risque, en tout cas, de compliquer les relations entre le pays et le monde financier. Beaucoup d'investisseurs avaient parié sur le renouveau du pays et ont été fortement pénalisés par cette nouvelle crise. Une fois de plus, Buenos Aires risque de devoir négocier la restructuration de sa dette pour éviter un défaut de paiement, tandis que la récession devrait se poursuivre l'année prochaine.

S'il a promis de stimuler l'économie par la consommation et les salaires, Fernandez s'avère être moins interventionniste que sa vice-présidente, Cristina Kirchner, qui a tenu les rênes du pouvoir entre 2007 et 2015. Pour le moment, les observateurs ignorent encore si Fernandez, discret professeur de droit, saura s'imposer dans ce tandem de circonstances, censé apaiser les divisions au sein des péronistes. Coincé entre plusieurs courants, sa marge de manœuvre reste très limitée. Il devra pourtant trouver des solutions, et rapidement: un nouveau défaut de paiement serait catastrophique pour un pays.

D'ores et déjà, le FMI s'est dit "impatient" de travailler avec la nouvelle administration "pour s'attaquer aux problèmes économiques de l'Argentine et promouvoir une croissance inclusive et durable qui profite à tous les Argentins", selon les propos de Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI sur son compte Twitter.

Thomas Leroy, avec Jérémy Bruno