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Pourquoi Mario Draghi va cesser de faire tourner la planche à billets

Le président de la BCE, Mario Draghi, lors de la conférence de presse à Riga, le 14 juin.

Le président de la BCE, Mario Draghi, lors de la conférence de presse à Riga, le 14 juin. - Ilmars Znotins / AFP

Francfort a annoncé la fin progressive de ses mesures de soutien à l'économie ce jeudi. Un choix justifié par des prévisions d'inflation et de croissance solides, malgré un ralentissement prévu pour cette année.

C’est un tournant dans la politique menée par la Banque centrale européenne (BCE) depuis les crises de 2008 et 2011. L'institut sis à Francfort a annoncé ce jeudi son intention de cesser progressivement son soutien accru à l’économie, notamment en planifiant l’arrêt de son programme de rachats de dettes pour fin décembre. Ses taux directeurs resteront inchangés au moins jusqu’à l’été 2019, laissant présager une première remontée si les conditions économiques restent favorables.

Pourquoi la BCE a-t-elle décidé d'amorcer l'arrêt de ces mesures? Pour mémoire la mission de la banque centrale est la stabilité des prix, ce qui correspond à une inflation inférieure mais proche de 2%. Avant qu’elle ne mette en place son programme de rachats de dettes en 2015, la zone euro était au bord du risque de déflation. Pour le contrecarrer, Francfort a déployé ce nouvel outil de politique monétaire qui a rendu l’argent bon marché. L’objectif était de stimuler les investissements afin de relance l’activité et de redynamiser l’inflation.

"L'économie est en meilleure santé"

Or, aujourd’hui "l’économie est en meilleure santé", a rappelé ce jeudi le président de la BCE, Mario Draghi, et "les progrès réalisés jusqu’à présents ont été substantiels" concernant l’inflation. Les conditions sont donc réunies selon Francfort pour justifier d'amorcer un retour à la normale de la politique monétaire.

En effet, dix années après la crise, la reprise économique est enfin arrivée. La relance monétaire de la BCE a favorisé le désendettement des acteurs, dynamisant la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. La reprise généralisée de l’activité dans le monde a alimenté ce redressement. Résultat, la croissance de la zone euro s’est accélérée, passant de 1,7% en 2016 à 2,5% en 2017, tout comme l’inflation qui est passée de 0,2% à 1,5% sur les mêmes périodes.

2,1% de croissance cette année

Cette embellie devrait malheureusement se tasser cette année. Les projections de la BCE tablent sur une croissance de 2,1%, un chiffre révisé à la baisse par rapport à la précédente estimation de mars qui prévoyait 2,4%. Certes, "les indicateurs sont plus faibles, mais ils restent cohérents avec une croissance économique solide et généralisée", a tempéré Mario Draghi. Pour les années suivantes, la BCE prévoit 1,9% de croissance en 2019 et 1,7% en 2020. Sur le plan de l’inflation, Francfort prévoit 1,7% pour 2018 et les deux années suivantes, du fait de la hausse des prix du pétrole.

Pourquoi ce ralentissement? La zone euro avait bénéficié d’un boom de ses exportations en 2017 "qui ne va pas se répéter" cette année, a prédit Mario Draghi. Par ailleurs, même s'il juge les risques "équilibrés", le président de la BCE note que "les incertitudes géopolitiques" mondiales et intérieures ont augmenté. La politique protectionniste américaine et les ambiguïtés de la coalition italienne pèsent sur la confiance des acteurs économiques. La politique budgétaire expansionniste des États-Unis réserve en revanche "de bonnes surprise" pour la croissance, a-t-il ajouté. 

La BCE prête à intervenir si besoin

Entre ces risques géopolitiques et la reprise, balbutiante, qui marque le pas, la BCE ne pouvait pas se permettre d'amorcer un retour à la normale brutal de sa politique monétaire. Le processus va être progressif, Francfort va donc maintenir "une politique monétaire hautement accommodante et va continuer à soutenir la reprise de l’économie", a souligné son président.

Par ailleurs, l'institut a laissé des "portes ouvertes" dans sa communication pour revenir sur ses annonces en cas d'un retournement de l'économie qui freinerait l'inflation, ou si la zone euro est en danger comme en 2010.

"Nous croyons fortement que la BCE ne modifiera pas la trajectoire de sa politique monétaire à cause de la volatilité induite par la hausse du risque politique en Italie ces dernières semaines", a commenté Philippe Gudin, chef économiste Europe chez Barclays. Du moins, "tant que le problème reste largement circonscrit à l'Italie et ne devient pas un sujet de préoccupation pour la stabilité financière".

Jean-Christophe Catalon