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TOUT COMPRENDRE – Ce que contient l’accord historique sur le plan de relance de l’UE

Au terme de quatre jours de négociations et au prix de quelques concessions du couple franco-allemand, les 27 ont fini par s'accorder sur un plan de relance de 750 milliards d'euros.

"Jour historique pour l’Europe!". Après plus de quatre jours de discussions parfois tendues, Emmanuel Macron a salué ce mardi matin l’accord sur le plan de relance trouvé par les 27 dirigeants de l’UE pour soutenir leurs économies fragilisées par la crise du coronavirus.

"Une étape majeure a été franchie. (…) En deux mois, nous avons réussi à bâtir un consensus pour que ce plan de relance inédit devienne une décision et donc une réalité", s'est encore félicité le chef de l’Etat.

Angela Merkel s'est pour sa part dite "très soulagée" qu'après des négociations difficiles, l'Europe ait montré qu'elle "peut encore agir ensemble". Il s'agit d'"un signal important qui va au-delà de l'Europe", "une réponse à la plus grande crise de l'UE depuis sa création", a-t-elle affirmé.

Le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, salue "un grand accord pour l'Europe", allant jusqu'à le qualifier de "vrai plan Marshall". Il faut dire que l’accord trouvé par les 27 marque un véritable tournant pour l’Union européenne, notamment parce qu’il entérine un projet sans précédent de dette commune à l’échelle du continent. Explications.

> En quoi est-ce un accord historique?

Les négociations qui se sont tenues à Bruxelles portaient sur deux enjeux majeurs: d’un côté, le budget pluriannuel qui couvrira l’action de l’UE sur la période 2021-2027 et, de l’autre, le montant et les modalités du plan de relance censé aider à redresser l'économie des pays les plus touchés par l’épidémie de coronavirus.

Un plan de relance historique à plus d'un titre. Par son montant, d'abord: 750 milliards d'euros. Et par la façon dont les fonds européens seront alloués: des prêts, à hauteur de 360 milliards d’euros, et des subventions pour 390 milliards. De l'argent emprunté au nom de l’Union européenne et non pas par chaque pays. Ce qui signifie que les dirigeants européens vont lever une dette commune aux 27 Etats membres. Un pas de plus vers l'Europe fédérale.

> Qui va payer?

Concrètement, c’est l’UE qui assumera le remboursement des subventions et non les pays qui en bénéficieront. Une première à laquelle s’étaient pourtant farouchement opposés les pays dits "frugaux", à savoir les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Finlande.

Afin d'aider au remboursement de cet emprunt, l'UE va se doter de nouvelles sources de revenus. La Commission est notamment chargée de présenter une proposition pour un "mécanisme carbone d'ajustement aux frontières" (qui renchérirait les produits importés fabriqués selon un processus très polluant), ainsi que pour une taxe sur les géants du numérique, afin de les introduire "au plus tard" début 2023. Une taxe sur les transactions financières pourrait aussi être envisagée. Enfin, il est demandé à la Commission de réfléchir à une nouvelle réforme du marché du carbone, sans date précise.

A l’inverse, les prêts devront être remboursés par les pays qui y auront eu recours. Le remboursement du fonds de relance devra être achevé au plus tard en 2058.

> A quoi servira le fonds de relance?

Le coeur du fonds de relance sera consacré au financement des programmes de réformes et d'investissements préparés par les Etats membres (312,5 milliards de subventions). 70% des subventions prévues pour ces programmes nationaux de relance seront alloués en 2021-2022, selon des critères très encadrés: population, taux de chômage sur les cinq dernières années notamment).

Les 30% restant le seront en 2023, en prenant en compte la perte de PIB sur la période 2020-2021, conséquence directe de la crise du coronavirus. Le reste du fonds de relance est dédié à divers programmes gérés par l'UE, comme la recherche (5 milliards), le développement rural (7,5 milliards) ou la transition énergétique (10 milliards) consacré au soutien des régions les plus en retard en la matière.

> A qui profitera le plan de relance?

L'Italie et l'Espagne, principaux pays touchés par la pandémie, seront les premiers bénéficiaires du plan de relance. Ils devraient percevoir respectivement 172 et 140 milliards d'euros sur les 750 milliards prévus par le plan.

La France recevra quant à elle au moins 40 milliards d'euros de subventions. Une somme qui servira à financer le plan de relance national de 100 milliards d'euros et dont les détails seront présentés le 24 août.

> Un budget légèrement revu à la baisse

A plusieurs reprises, les pays "frugaux", taxés par certains de "radins", ont menacé de faire capoter ce plan massif de soutien à l'économie, qui profiterait avant tout aux pays du Sud, jugés trop laxistes en matière budgétaire par leurs partenaires du Nord.

Pour vaincre leurs réticences, le président du Conseil européen, Charles Michel, a donc dû revoir sa proposition initiale en révisant la proposition de budget pluriannuel qui s’établira finalement à 1074 milliards d’euros (154 milliards par an) alors que la Commission européenne préconisait initialement 1100 milliards d’euros et le Parlement 1300 milliards.

Ce budget comprend une "réserve" spéciale de 5 milliards d'euros pour aider les pays et secteurs les plus affectés par le Brexit. Il inclut aussi des mesures de flexibilité pour la politique de cohésion (soutien aux régions les moins développées) et la politique agricole commune (PAC). La politique de cohésion est doté de 330,2 milliards d'euros et la PAC de 336,4 milliards (258,6 milliards pour les paiements directs et 77,8 milliards pour le développement rural). Les deux sont complétées par des allocations au sein du plan de relance.

Le montant des subventions a lui aussi été réduit. Dans la proposition franco-allemande qui a inspiré le plan de relance européen, celles-ci devaient s’élever à 500 milliards d’euros sur 750. Inacceptable pour les "frugaux" qui ont obtenu une baisse 110 milliards d'euros.

> Des dépenses orientées et contrôlées

Conformément aux requêtes des "frugaux", les pays qui bénéficieront du plan de relance ne seront pas totalement libres d’utiliser à leur guise les fonds perçus. Ils devront en effet les consacrer à des programmes de réformes et d’investissement. Sous la surveillance des autres Etats. Si la demande des cinq pays frugaux de prévoir un droit de véto sur la manière donc chaque Etat membre dépense l’argent perçu a été refusée, un mécanisme de garantie a tout de même été prévu. Ainsi, les programmes nationaux de relance seront évalués par la Commission, puis validés à la majorité qualifiée des 27 (55% des pays et 65% de la population).

Un "frein d'urgence" a également été introduit. Ce dispositif permet à un ou plusieurs Etats membres, qui considèrent que les objectifs fixés dans ces programmes de réformes ne sont pas atteints, de demander que le dossier soit étudié lors d'un sommet européen.

Le bloc se fixe par ailleurs l'objectif de consacrer 30% des dépenses à la lutte contre le changement climatique et "toutes les dépenses de l'UE devraient concorder avec les objectifs de l'accord de Paris". Autrement dit, pas question de financer par exemple avec ces subventions des mesures comme des primes à l'achat de voiture thermiques. Le budget pluriannuel, comme le fonds de relance, devront enfin "se conformer" à l'objectif de neutralité climatique de 2050 et aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 2030.

> Pression sur les Etats mettant en cause la démocratie

L’accord souligne "l'importance de la protection des intérêts financiers" de l'UE et du "respect de l'Etat de droit". Sera donc introduit un "régime de conditionnalité". "Dans ce contexte, la Commission proposera des mesures en cas de violations", qui seront adoptées à la majorité qualifiée.

La Hongrie et la Pologne sont dans le collimateur de Bruxelles après l'adoption des mesures accusées de saper les normes juridiques et les valeurs démocratiques européennes. Ces deux pays sont sous le coup de la procédure prévue par l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE) qui donne la possibilité à l'UE de sanctionner un État membre qui ne respecterait pas ses valeurs fondatrices. Mais la décision doit être prise à l'unanimité, ce qui neutralise sa portée.

Il avait été proposé avant le sommet de prévoir la possibilité de suspendre ou réduire les financements européens pour les pays qui ne respectent pas les valeurs européennes. La Pologne et la Hongrie avaient menacé d'opposer leur veto à tout lien entre financement et Etat de droit mais, au cours de la quatrième nuit de négociations, un projet d'accord a émergé, ont indiqué plusieurs sources.

Selon le mécanisme envisagé, toute mesure de suspension ou réduction éventuelle des fonds européens en raison de violations de l'Etat de droit devrait être approuvée par une majorité qualifiée des Etats membres.

> Des rabais plus importants accordés aux pays "frugaux"

Autre concession, et non des moindres, accordée aux pays "frugaux": l’augmentation des rabais dont bénéficient déjà quatre d’entre eux (Pays-Bas, Suède, Danemark et Autriche) qui estiment que leur participation au budget européen est disproportionnée par rapport à ce qu’ils reçoivent.

Le rabais sur leur contribution totale au prochain budget de l'UE (2021-2027) se monte à 377 millions d'euros pour le Danemark, soit une hausse de 91% par rapport à ce qui était prévu avant le sommet, 1,92 milliard pour les Pays-Bas (+22%), 565 millions pour l'Autriche (+138%) et 1,07 milliard pour la Suède (+34%). Le rabais accordé à l'Allemagne, de 3,67 milliard, n'a pas évolué avec la négociation.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco