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Une « croix de la mort » sur les marchés

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La défiance sur l'économie américaine au cœur des nouvelles stratégies de marché

La figure est technique mais elle est inscrite dans tous les ordinateurs qui guideront le marché lundi à l'ouverture: « la croix de la mort », est apparue sur l'indice large américain S&P 500 lorsque la moyenne de valorisation des marchés sur 50 jours a croisé, dans sa chute, la moyenne de long terme à 200 jours. En résumé: la défiance s'accélère, et les signaux envoyés par les autorités américaines n'y changent rien.

Wall Street a enregistré vendredi une nouvelle baisse importante, -2,33% pour l’indice large S&P, -2,24% pour le Dow Jones, -3,05% pour le Nasdaq qui repasse sous les 7.000 points. L’Amérique est-elle en train d'atterrir brutalement ? La réserve fédérale va-t-elle radicalement changer ses perspectives pour contrer cet atterrissage ? La guerre commerciale peut-elle finalement dégénérer ? Autant de questions qui poussent les investisseurs à se retirer du marché action, à envoyer le signal que la plus grande séquence de hausse de l'histoire du marché américain est peut-être arrivée à son terme.

« Erreur de débutant »

Plusieurs séquences sont venues rythmer ce mouvement de fond, entamé le 3 octobre sur un discours du patron de la réserve fédérale très positif sur l'économie américaine, tellement positif qu'il n'excluait pas d'accélérer la remontée des taux d'intérêts au-dessus d'un taux jugé "neutre" pour l'économie pour aller contrer un éventuel emballement de l'inflation. Les analystes, et notamment Omair Sharif, de la Société Générale, parlent maintenant « d'erreur de débutant », car ces quelques phrases ont amené des rééquilibrages financiers considérables sur des marchés déjà fébriles, signe qu'il était temps de prendre des bénéfices déjà très importants, notamment sur le compartiment de la tech.

Rééquilibrage trop violent visiblement. Aux Etats-Unis, la bourse est une affaire politique, elle guide la valorisation de la retraite de millions d'américains, elle est au coeur de « l'effet richesse » qui dope la consommation, et c'est bien pour cela que Donald Trump s'était octroyé le mérite des multiples records battus depuis son élection.

Depuis le 3 octobre, la Fed multiplie donc les rétropédalages, mais semble avoir perdu la main. Les tous derniers chiffres sur l'économie américaine restent remarquables, taux de chômage stable en novembre à 3,7%, mais les créations d'emploi ont été un peu moins fortes que prévu (155.000 créations, contre une moyenne annuelle à 204.000). Jeudi le Wall Street Journal écrivait que "les responsables de la Fed sont de moins en moins sûrs du rythme auquel ils doivent agir et jusqu'où ils doivent aller". Les investisseurs ont finalement compris le message comme un encouragement à se mettre à l'abri, vers la dette américaine à 10 ans par exemple, jugée beaucoup plus sûre que les actions en ce moment.

Confusion sur le commerce

D'autant que le front de la guerre commerciale reste confus. L'arrestation au Canada, le 1er décembre, de la directrice financière du groupe Huawei (accessoirement, et c'est sans doute le plus important, fille du fondateur de l'empire des télécoms) vient perturber un scénario de détente mis au point depuis le sommet du G20. Et là encore, la parole politique semble de peu de poids: « china talks are going very well » twitte Donald Trump, sans aucun effet sur Wall Street, qui préfère retenir des phrases de son conseiller Peter Navarro selon lequel « si les discussions n'aboutissent pas dans les 90 jours, nous mettrons en place de nouvelles taxes ».

« C'est une structure de marché qui change en profondeur », nous dit le stratégiste de Montpensier Finances Wilfried Galland, « et il faudra du temps pour analyser la portée de ces changements et trouver les nouveaux points d'équilibre ». L'Europe de son côté « concentre toutes craintes » ajoute le président des Cahiers verts de l'Economie, Jean Pierre Petit, « les craintes sur l'économie américaine, parce que c'est le marché directeur, les craintes sur la guerre commerciale, parce qu'elle sera prise en étau, les craintes sur son fonctionnement, à quelques jours du vote sur Brexit, alors que le problème italien n'est pas réglé et que le problème français émerge. Si l'on peut espérer un retracement des pertes aux Etats-Unis, ce sera beaucoup plus compliqué en Europe dont la croissance ne décolle pas, et où les marges de manoeuvre de la BCE sont réduites ».

Ces déséquilibres de marché pourraient maintenant avoir des répercussions sur la marche économique du monde, car comme le dit notre éditorialiste Emmanuel Lechypre, dans ces périodes là, « il ne faut pas chercher dans l'économie réelle ce qui déstabilise les marchés, mais bien comment les marchés vont déstabiliser l'économie réelle »