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Economie

Ce que les singes nous apprennent en économie

Les singes sont tout à fait capables d'évaluer, les gains les pertes et les probabilités

Les singes sont tout à fait capables d'évaluer, les gains les pertes et les probabilités - Alain Houle (Harvard University) - Wikimedia Commons - CC

De multiples expériences ont été menées sur les primates par des chercheurs. Des travaux qui ont permis de comprendre que nos erreurs économiques relèvent de l'inné et non pas de notre condition humaine.

"Nous faisons de terribles erreurs sur les choix financiers", nous expliquait en avril dernier l'éditorialiste du Financial Times, Tim Harford. En économie, l'homme se laisse en effet tromper par ses émotions. Exemple simple: tout le monde va préférer gagner 100 euros puis 50 euros plutôt que gagner 200 euros puis perdre 50 euros. Pourtant dans les deux cas le gain est le même: 150 euros. C'est ce que l'on appelle "le biais de présentation".

Autre illustration: lorsqu'un parieur perd de l'argent, il va avoir tendance à continuer à parier. S'il a perdu 100 euros, il voudra "se refaire" et jouera jusqu'à gagner 2,5 fois ses pertes. Il s'agit d'un autre biais appelé "biais de disposition". Ces deux biais s'expliquent en partie par "l'aversion à la perte", phénomène mis en valeur par le psychologue et Prix Nobel d'Économie 2002 Daniel Kahneman. Ce dernier a ainsi montré que nous accordons deux fois plus de valeurs aux pertes qu'aux gains. Voilà pourquoi le parieur a besoin de récupérer 2,5 fois sa mise pour être satisfait.

Ces biais nous amènent ainsi à nous tromper lors de choix économique importants. Marie-Hélène Broihanne, spécialiste de la finance comportementale et professeur à l'École de Management de Strasbourg, l'a bien constaté avec les investisseurs. "Lorsqu'ils essuient des pertes, ils vont rester sur le marché. Pourtant, on s'aperçoit que rester trop longtemps amène à creuser ses pertes", explique-t-elle. Une nouvelle illustration du "biais de disposition". La chercheuse s'est demandée s'il était possible de corriger ces biais. Toute la question était ainsi de savoir si ces comportements erronés sont "acquis" ou "innés". Voilà pourquoi elle travaille avec des singes..

Marie-Hélène Broihanne (à gauche) et Valérie Dufour (à droite)
Marie-Hélène Broihanne (à gauche) et Valérie Dufour (à droite) © Alexis Chezieres - CC - École de Management de Strasbourg

Mikados et chimpanzés

L'idée n'est pas nouvelle. Dès 2005 Laurie Santos et Keith Chen, de l'Université de Yale ont mené des expériences pour tester les biais comportementaux de singes capucins. Marie-Hélène Broihanne et sa collègue Valérie Dufour, chercheuse en éthologie, sont, dès 2008, allées plus loin en prenant des bonobos, gorilles et chimpanzés, plus proches de l'homme génétiquement.

L'idée est de confronter ces primates à des choix économiques proches de ceux de l'homme pour étudier et comparer leurs réactions. Évidemment les singes n'utilisent pas d'argent. D'où l'idée d'introduire une "monnaie fictive". Marie-Hélène Broihanne et sa collègue ont ainsi utilisé des mikados au chocolat "car on peut les quantifier facilement, les couper en morceaux, les doubler, les quadrupler; et les singes les adorent", explique-t-elle.

Ces mikados sont utilisés dans le cadre de "jeux". Le singe va se voir offrir un mikado. Il va pouvoir le garder ou l'échanger. Dans ce dernier cas, il va choisir de "jouer" et se verra attribuer une coupelle parmi six, contenant plus ou moins de nourriture, avec un système de loterie. Il a ainsi une probabilité plus ou moins grande de gagner plus de mikados qu'au début.

Le singe un homme comme les autres?

De cette façon, le singe choisit ou non de prendre des risques. Évidemment il faut d'abord que les singes prennent conscience de la notion de prix et de gains. "Ils y arrivent très bien, même si cela demande plusieurs mois. Des étudiants font ainsi de nombreux tests", explique Marie-Hélène Broihanne. "Il faut préciser que le singe n'est jamais obligé de jouer, il choisit à chaque fois de le faire", souligne-t-elle. À tel point que lorsque le singe se rend compte que la quantité de nourriture offerte n'est pas intéressante, il peut se fâcher. "Les chimpanzés peuvent même piquer des colères", assure la chercheuse. De même "les singes prennent très vite conscience de la notion de probabilité. Grâce à la répétition de l'expérience, ils évaluent très bien l'espérance de leurs gains", poursuit-elle.

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- © École de Management de Strasbourg

17 singes, répartis sur trois sites, se livrent ainsi régulièrement à ces jeux. Ce qui a permis à Marie-Hélène Broihanne de collecter une base de données représentant environ 17.000 "jeux" avec les singes.

Que constate-t-on? Et bien que le singe est finalement un homme comme un autre. "Comme nous, les singes sont plutôt averses au risque. Quand ils estiment que le jeu n'en vaut pas la peine ils ne jouent pas. Si par contre le gain leur apparaît pas intéressant, ils vont rendre le mikado", indique Marie-Hélène Broihanne. "Au final, les coefficients d'aversion au risque sont proches de ceux des hommes", continue-t-elle. De même, les singes attachent aussi plus de valeurs aux pertes qu'aux gains. Et ils sont tout aussi sensibles aux biais de présentation et de disposition évoqués précédemment.

La conclusion est que "nos comportements et nos erreurs ont des bases biologiques et relèvent donc de l'inné et probablement pas de l'acquis", indique Marie-Hélène Broihanne. "On peut donc probablement réduire ces biais par l'éducation. Mais il apparaît difficile de les supprimer complètement", conclut la chercheuse qui s'émerveille encore de ces résultats. "Honnêtement je ne m'attendais pas à ce que les singes soient à ce point capable de comprendre aussi bien les notions de gains et de risques", admet-elle. Celle qui s'était fait mordre en visitant la forêt des singes à Rocamadour quand elle était enfant assure "les voir désormais différemment".

Les singes plus forts que les traders, vraiment?

En 2012, des chercheurs ont constitué des indices à partir de valeurs sur lesquelles des singes avaient lancé des flèches. Il s'est avéré que les performances de ces indices ont été meilleures que celles d'autres indices construits par des experts. De là à penser que les traders sont nuls? Ce serait aller un peu vite en besogne. "Au fond ces valeurs auraient tout aussi bien pu être choisies par des robots, cela aurait été la même chose. Cela montre tout simplement que lorsque les marchés sont efficients, seul le hasard peut permettre de sélectionner les bons titres et battre ainsi le marché", commente Marie-Hélène Broihanne.