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Draghi prend-il trop de risques?

Mario Draghi peut-il aller jusqu'à créer une bulle

Mario Draghi peut-il aller jusqu'à créer une bulle - Daniel Roland - AFP

Le président de la BCE devrait annoncer ce jeudi 3 décembre un renforcement de ses rachats de titres afin de relancer croissance et inflation. Une politique qui n'est pas sans danger. Mais pour les économistes, le plus grand risque c'est que la banque centrale ne fasse rien.

Toujours faire plus. C'est un peu le piège dans lequel se trouve Mario Draghi. Ce jeudi 3 décembre le président de la Banque centrale européenne (BCE) tient une conférence de presse qui une fois de plus est très attendue des marchés.

Car les membres de la BCE ont à plusieurs reprises laissé entendre que l'institution européenne allait en remettre une couche en musclant son programme de rachat de titres sur les marchés, le fameux "QE" ("Quantitative easing" ou assouplissement quantitatif en français dans le texte) dont le montant de 60 milliards d'euros par mois pourrait être relevé.

Autrement dit, la BCE s'apprête ni plus ni moins à satisfaire des marchés qui en veulent toujours plus. Ce qui n'est pas sans risque. "Il est vrai que ce discours a un côté auto-réalisateur, qui peut être dangereux pour la crédibilité de la Banque centrale", explique Frederik Ducrozet, économiste zone euro chez Pictet.

Une inflation presque inexistante

Au-delà de la communication, se pose la question de l'efficacité de la politique de la BCE. Car depuis qu'elle a sorti l'artillerie lourde, en janvier 2015, l'inflation peine à repartir. En novembre, elle se limitait à 0,1% selon les estimations d'Eurostat, publiée mercredi. Loin, bien loin des 2% visés par la BCE. "C'est bien la faiblesse de l'inflation qui fait que la Banque centrale européenne envisage de passer à l'action. Car pour le moment la trajectoire n'évolue toujours pas en ligne avec la cible de la BCE", analyse Alan Lemangnen, économiste chez Natixis.

Est-ce à dire que jusqu'à présent la BCE a raté le coche? "Difficile à dire mais il est vrai que pour le moment le mandat de la BCE n'est pas rempli", poursuit l'économiste qui assure toutefois que l'action de la BCE n'a pas été inefficace pour autant. "Il a permis une baisse nette des coûts d'emprunt des ménages et des entreprises et une reprise du crédit bancaire (crédit immobiliers, crédit aux entreprises), notamment dans les pays de la périphérie", affirme-t-il.

Certes, mais dans le même temps des voix s'élèvent pour dénoncer l'action de Mario Draghi. En Allemagne, pays où le président de la BCE n'a jamais eu très bonne presse, un panel de conseiller économique du gouvernement a estimé que l'action de la banque centrale faisait peser "des risques sur la stabilité financière".

Quid du risque de bulles ?

L'un des reproches fait à la banque centrale est notamment de "fausser les prix" de certains titres. "Le paradoxe est que la BCE augmente la liquidité avec le QE, mais fait tellement monter le prix des actifs que les investisseurs ne veulent plus en acheter car ils deviennent trop chers. Le marché devient alors illiquide. C’est notamment ce à quoi on assiste aujourd’hui sur le marché des dettes souveraines", explique Alan Lemangnen." Le problème c'est que lorsqu'un évènement imprévu survient, la volatilité peut fortement augmenter et il y alors un risque de perte élevée pour les investisseurs", poursuit-il.

Mais pour Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas, "ce reproche est franchement théorique car on ne constate pas de signes de surchauffe sur les marchés".

L'autre risque, moins technique, est tout simplement de voir une bulle se créer. Sauf que là encore la menace n'est pas forcément très concrète. "Je pense que c'est le dernier de nos soucis; le jour où sera confronté à ce genre de problème c'est que tous les autres seront réglés. Quoi qu'il en soit, les inquiétudes sur les bulles d'actifs en zone euro me semblent exagérées", affirme Frederik Ducrozet.

Thibault Mercier estime, lui, que "la balance des risques n'est pas symétrique: il est beaucoup plus risqué de ne rien faire que de ne pas poursuivre la thérapie en cours". "C'est vrai que la politique monétaire peut créer des bulles mais ne rien faire est encore plus risqué", insiste-t-il.

"Aujourd'hui la reprise en zone euro est fragile et on remarque que la reprise décélère. L'activité est par ailleurs inférieure à son potentiel c'est-à-dire au niveau auquel elle devrait être. Pour ranimer l'inflation, la BCE doit donc parvenir à stimuler l'activité et faire ainsi baisser le chômage tout en créant des tensions à la hausse sur les salaires", développe-t-il.

Frederik Ducrozet est sur la même ligne: "le véritable risque c'est qu'il n'y ait jamais de croissance en Europe, ou plus exactement que la croissance n'atteigne jamais le seuil critique de 2% qui permette de véritablement réduire le chômage et l'endettement".

La BCE abaisserait sa prévision d'inflation

Jeudi, la BCE doit livrer ses nouvelles prévisions de croissance et d'inflation pour 2015, 2016 et 2017, chiffres qu'elle met à jour tous les trimestres.

Selon Bloomberg, la BCE va annoncer qu'elle modifie sa prévision d'inflation pour 2017 qui passerait de 1,7 à 1,6%. L'information n'a pas été confirmée par la BCE (qui ne fait aucun commentaire) mais elle pourrait servir de justification à une action plus forte de la part de l'institution européenne.