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"Il ne faut pas que la transition énergétique soit un surcoût pour les entreprises"

Inciter les entreprises à financer la transition énergétique est l'un des enjeux de la COP21 (image d'illustration)

Inciter les entreprises à financer la transition énergétique est l'un des enjeux de la COP21 (image d'illustration) - Loïc Venance - AFP

INTERVIEW- Alors que la COP21 bat son plein, la question se pose: comment faire en sorte que les entreprises réduisent leur empreinte carbone? En créant une incitation fiscale forte sans pour autant nuire à leur compétitivité, répond Noël Amenc, professeur de Finance à l'Edhec-Risk Institute.

La COP21 bat désormais son plein. 195 dirigeants sont actuellement réunis à Paris pour tenter d'aboutir à un accord permettant de limiter le réchauffement climatique global à +2°C d'ici à 2100. Évidemment, les engagements pris par les États ne vont pas être sans conséquence pour les entreprises.

Des enjeux que nous abordons avec le professeur de Finance Noël Amenc qui, avec ses collègues de l'Edhec Risk Institute a mis au point des "indices intelligents" pour démontrer qu'il est possible d'allier performance climatique et financière.

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- © Edhec

La COP21 a-t-elle des implications dans la stratégie des entreprises?

Noël Amenc: Il y a un vrai changement pour le chef d'entreprise dans sa relation avec ses actionnaires. Jusqu'à présent il avait une relation uniquement liée à la vie individuelle de son titre. Sa relation c'était de dire "je vous rapporte et je vous rapporte durablement". Le chef d'entreprise essayait ainsi d'avoir le meilleur prix possible pour son titre. Cela était lié à la société en elle-même. Aujourd'hui le clan des climatosceptiques est en train de perdre. Même des pays qui avaient autrefois intérêt à être climatosceptiques modifient leur position.

Ainsi, avec la COP21, les dirigeants d'entreprise ne pourront plus se contenter de parler du profit de leur titre. Ils vont devoir parler de leur stratégie vis-à-vis du climat. C'est un enjeu extrêmement fort. Le réflexe cynique qui est de dire "c'est pas moi c'est l'autre" est en train de changer. En ce sens la COP21 est un accélérateur car elle fédère les initiatives d'investisseurs, c'est-à-dire ceux qui parlent aux chefs d'entreprises, sur cet objectif de réduction de l'empreinte carbone.

Comment vont se traduire économiquement les éventuels engagements pris par les chefs d'État?

N.A: Dès lors qu'un État prend des engagements contraignants, il va répercuter ces contraintes. La question est alors de savoir qui va payer. Si on veut remplir des objectifs à court terme dans un État donné, doit-on délocaliser les industries qui polluent? À ce moment-là ceux qui paient sont les ouvriers, puisqu'il y aura plus de chômeurs. 

Est-ce qu'au contraire l'entreprise va décider d'investir (dans la transition énergétique, ndlr)? Et à ce moment-là le coût de la contrainte sera pris en charge par cette société qui va chercher de nouveaux moyens de produire le bien.

Ou est-ce que c'est le contribuable qui va payer avec une politique massive d'impôts et de transferts fiscaux? Dans ce dernier cas de figure, cela signifie que l'on confie à la puissance publique le rôle de stratège de la transition énergétique. Et quand l'État est un stratège ce n'est pas forcément une réussite. Prenez le cas d'Air France.

Pourtant l'idée d'une taxe carbone mise en place par les États fait son chemin….

N.A: Si on doit mettre une taxe carbone elle ne pourra effectivement être organisée que par la puissance publique. Il faut néanmoins que cette taxe se traduise par une baisse d'impôts, c'est-à-dire qu'elle soit "à fiscalité nulle". En clair, il faut, en même temps que l'on implante la taxe, faire baisser la fiscalité sur le travail, de sorte que cette taxe carbone devienne notre "TVA sociale" à nous.

Ce qui permettrait également de faciliter son adoption. Car si la taxe carbone se surajoute aux impôts existants, personne ne la fera. Aucun pays ne prendra le risque de mettre encore plus de prélèvements sur son économie. Il ne faut pas que la transition énergétique soit un surcoût pour les entreprises. Et, pour moi, l'État est incapable de savoir ce qui est bon pour l'économie. Je pense ainsi qu'il ne doit absolument pas s'occuper de la transition énergétique.

Dominique Strauss-Kahn explique que le secteur privé ne peut financer la transition énergétique car il n'a pas un horizon d'investissement suffisamment long

N.A: Pas forcément. Depuis combien de temps Monsieur Bolloré finance-t-il la pile à combustible? Regardez par ailleurs les investissements faits dans les trains.

Il faut donc que l'État donne un cadre fiscal stable aux entreprises pour investir. Lui ne peut pas intervenir, il est trop endetté. Il est néanmoins vrai qu'il y a des investissements dits 'structurants' que le marché ne sait pas organiser. C'est le cas par exemple des réseaux électriques aux États-Unis. Il y a donc des choses où l'État doit être le grand organisateur mais cela ne veut pas dire être le grand financeur. Et l'État ne doit pas décider à la place du secteur privé en choisissant de subventionner un secteur particulier.

Le secteur privé serait donc disposé à financer lui-même la transition énergétique?

N.A: Cela ne se fera évidemment pas naturellement. Des gens vous font croire que les titres "low carbon" (titres en Bourse dont les entreprises affichent une empreinte carbone vertueuse, ndlr) présentent une rentabilité plus élevée et qu'il suffit de laisser les investisseurs choisir ces titres. Ce n'est pas vrai. Les fonds verts ont tous été un échec, des indices (boursiers, ndlr) ont disparu. Ainsi, je ne crois pas que si on laisse faire les marchés financiers et l'économie actuelle on aille vers la transition énergétique. Il faut donc créer l'incitation et la rendre très crédible.

Comment?

N.A: En reprenant le principe de cette taxe carbone. Si l'économie favorise les entreprises qui ont de faibles émissions de carbone, l'investisseur qui n'aura pas dans son portefeuille ces titres va être pénalisé. Avec la taxe carbone, il va vouloir acheter les titres des entreprises qui bénéficient de ce revirement fiscal.

Les autres sociétés (avec une forte empreinte carbone, ndlr) vont, elles, voir leurs cours de Bourse chuter. Elles seront alors les premières à investir massivement dans la transition énergétique et on sauvera la planète parce que l'on aura changé le processus de production d'une usine qui pollue énormément.