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Libre-échange: ces innombrables pays avec lesquels l'Europe négocie 

Fin 2015, le Premier ministre vietnamien Nguyen Tan Dung et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, marquent la conclusion des négociations de l'accord de libre-échange entre l'UE et le Vietnam

Fin 2015, le Premier ministre vietnamien Nguyen Tan Dung et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, marquent la conclusion des négociations de l'accord de libre-échange entre l'UE et le Vietnam - Emmanuel Dunand - AFP

La Belgique vient de trouver un accord qui devrait permettre de débloquer l'adoption du traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Au-delà du CETA la Commission européenne négocie actuellement des accords avec une bonne cinquantaine de pays dans le monde.

L'accord de libre-échange avec le Canada, le fameux CETA, va probablement sortir de l'impasse. Le Premier ministre Charles Michel a annoncé ce jeudi que les parties belges avaient finalement trouvé un accord sur ce texte, qui était bloqué par la Wallonie depuis plusieurs semaines. Ce empêchait ce traité d'être ratifié par l'UE.

Un accord commercial dont la mise en place doperait le PIB européen de 5,8 milliards d'euros par an, selon la Commission européenne.

Ce texte est perçu par ses détracteurs comme un véritable cheval de Troie qui ouvrirait la voie au Tafta (ou TTIP), l'accord de libre-échange avec les États-Unis, encore plus controversé, et dont les négociations sont au point mort.

Juncker "bouche bée"

Mais si ces deux traités cristallisent actuellement les débats, le Canada et les États-Unis sont loin d'être les seuls États avec lesquels la Commission négocie des accords de libre-échange. C'est d'ailleurs ce qui étonne le président de la Commission Jean-Claude Juncker.

"Je reste bouche bée, interloqué, surpris par le fait que lorsque nous concluons un accord commercial avec le Vietnam qui est mondialement connu pour appliquer tous les principes démocratiques, personne ne lève la voix. Alors que quand nous concluons un accord avec le Canada, qui est une dictature accomplie comme nous le savons, tout le monde s'excite pour dire que nous ne respectons pas les droits de l'Homme et les droits économiques et sociaux", déclarait-il jeudi dernier avec une (grosse) pointe d'ironie.

Une cinquantaine de pays

Le 2 décembre 2015, Jean-Claude Juncker et le Premier ministre vietnamien de l'époque Nguyen Tan Dung ont, en effet, annoncé la conclusion formelle de l'accord de libre-échange entre les deux pays, le texte devant entrer en vigueur en 2018. Mais le Vietnam n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Les différents parlements de l'Union européenne doivent prochainement voter l'accord négocié entre Bruxelles et Singapour en 2014.

Et Bruxelles a, en septembre dernier, débuté des négociations pour un accord de libre-échange avec l'Indonésie. De même, la Commission discute-t-elle depuis 2012 avec le Japon. Elle espère d'ailleurs conclure les négociations d'ici à la fin de l'année. Elle doit aussi reprendre en mars prochain les discussions avec le Mercosur, la zone de libre-échange d'Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela). Celles avec l'Inde sont en revanche au point mort depuis 2013.

Au total, la Commission européenne négocie ou a négocié des accords avec une bonne cinquantaine de pays. Les pays dont les accords sont en cours de ratification sont en orange sur cette carte, ceux avec qui l'Europe est toujours en train de négocier sont en jaune.

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En 2011, l'accord de libre-échange entre la Corée du Sud et l'Union européenne était par ailleurs entré en vigueur. Quatre années après, les exportations européennes vers la troisième puissance économique d'Asie ont bondi de 55% pour les marchandises et de 40% pour les services. Ce succès sert d'ailleurs d'argument à la Commission pour pousser à d'autres négociations.

Le "bol de spaghetti"

Par ailleurs, la prolifération de ces accords bilatéraux est aussi due au fait que l'Organisation mondial du commerce (OMC) est en crise depuis une quinzaine d'années. Le "cycle" (phase de négociations pour libéraliser les échanges) de Doha, débuté en 2001, est en situation d'échec et l'OMC peine à le relancer, même si, en décembre 2015, plusieurs pays ont manifesté leur volonté d'aller de l'avant lors de la réunion de Nairobi.

Face à l'impuissance de l'OMC, les pays ont ainsi multiplié les accords régionaux et bilatéraux comme le soulignait en 2012 l'économiste indonésien Beginda Pakpahan. Entre 2000 et 2012, 156 accords régionaux de libre-échange ont été signés soit deux fois plus que sur la période 1958-1999. L'économiste indonésien notait d'ailleurs que l'Union européenne avait changé son approche passant du "multilatéralisme" au cas par cas, pays par pays.

Sauf que la multiplication de ces accords bilatéraux n'est pas nécessairement une bonne chose. Leur prolifération et leurs spécificités font qu'un même bien importé peut subir nombre de traitements différents selon le pays d'origine. La multiplication de ces accords, qui s'enchevêtrent, rend ainsi plus complexes et illisibles les règles du commerce international pour les entreprises.

Dès 1991, l'économiste indo-américain Jagdish Bhagwati avait dénoncé ce phénomène, décrivant alors ce qu'il appelait "un bol de spaghetti". Une expression reprise treize ans plus tard par l'actuel directeur général de l'OMC, Roberto Azevedo, qui constatait alors "une augmentation notable du niveau de complexité des accords (commerciaux, ndlr) ainsi que de leurs interactions".