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Le gouvernement peut-il inciter les entreprises à geler les salaires?

Un rapport de deux économistes prône le gel des salaires pendant trois ans en France.

Un rapport de deux économistes prône le gel des salaires pendant trois ans en France. - Philippe Huguen - AFP

Outre l’assouplissement des 35 heures, un rapport franco-allemand pour la croissance préconise un gel des salaires pendant trois ans. Pourquoi le sujet se retrouve-t-il sur la table, et comment l’Etat peut-il s’y prendre ? Décryptage.

Le rapport franco-allemand, qui sera remis jeudi aux ministres de l’Economie des deux pays, pourrait embarrasser le gouvernement. Car même si, selon Bercy, la version définitive n’est pas encore prête, il préconiserait un assouplissement des 35 heures et un gel des salaires pendant trois ans. On peut donc déjà en tirer quelques enseignements.

D’abord, il y aurait une forme de coordination franco-allemande, ce qui constitue une bonne nouvelle puisque le duo a toujours été l’un des moteurs de l’Europe. Ensuite, tout est tourné vers la croissance, même si, à ce stade, on ne connaît pas la totalité du rapport. On pourra toutefois noter l’absence de référence aux finances publiques ou à la baisse de la dépense, mais cela viendra peut-être plus tard.

Le salaire n'est pas vraiment le problème en France

Ce qui va faire du bruit, c’est cette proposition de gel des salaires pendant 3 ans. Au premier abord, difficile de comprendre pourquoi cette proposition se retrouve sur la table, le problème étant en France le coût du travail. Il s’agit du salaire, bien sûr, mais surtout des cotisations. A titre de comparaison, la France et l’Allemagne possèdent un coût du travail à peu près similaire dans l’industrie: 35 euros de l’heure. Sauf que pour un coût identique, l’ouvrier français gagne 24 euros,et l'Allemand environ 28 euros, soit 15% de plus.

Si un effort est demandé sur les salaires, c’est que les auteurs du rapport redoutent un phénomène : que les 40 milliards d’euros du CICE, destinés à l’investissement et à l’embauche, soient en fait détournés de ce but pour augmenter les salaires. Selon une enquête Insee sur l’utilisation du CICE, 41% des entreprises disent ainsi que cela aura un effet sur les salaires. Et comme par hasard, l’économiste qui préside le comité de suivi du CICE est aussi le coauteur de ce rapport qui sera remis jeudi ; Jean Pisany Ferri.

Agir sur le Smic

Problème: ce n’est pas l’Etat qui décide. Son pouvoir s’applique seulement au Smic et aux entreprises publiques. La question se pose donc : comment le gouvernement peut-il faire pour inciter les entreprises à la modération salariale? Tout d’abord, grâce au gel des traitements des fonctionnaires. Ensuite, via les entreprises dans lesquelles l’Etat a son mot à dire parce qu’il en est propriétaire ou actionnaire encore important, et qui sont exposées à la concurrence internationale: GDF Suez, EDF, Airbus, Orange, Renault, Air France KLM, Safran : mais cela ne concerne que 3 à 4% de l‘ensemble des salariés.

Autre levier possible: le Smic : le gouvernement décide de sa revalorisation ou non. Et ce n’est pas négligeable: il faut rappeler qu’un salarié sur six en France est au Smic, et que mécaniquement, son évolution a un impact sur l’ensemble des rémunérations, d’autant plus grand à mesure que ces rémunérations sont proches du Smic. Or, plus d’un salarié sur deux gagne moins de 1,5 Smic. Cet effet n’est pas négligeable : 20% à 30% des coups de pouce au Smic se reportent à long terme sur le salaire moyen. Qui dit gel des salaires dit ainsi gel du Smic. Ce qui nécessiterait toutefois de changer la règle qui lie le Smic à l’inflation subie par les 20% de ménages les plus modestes.

La politique des entreprises en cause

Dernier levier envisageable: faire des réformes qui incitent les entreprises à changer de pratiques salariales. Il faut savoir qu’une des particularités de l’économie française est que la formation des salaires y est la plus rigide d’Europe. Parmi les causes de cette rigidité, on trouve la politique de ressources humaines des entreprises: comme ces dernières ont du mal à ajuster leurs effectifs, elles achètent la paix sociale à coup d’augmentations pour les salariés en CDI, et ajustent les effectifs avec des CDD et temps partiels.

De fait une augmentation globale de 2% est prévue en 2015. Avec un effet négatif : si, depuis 2008, la productivité horaire en France a crû de 3%, le salaire par tête dans le secteur marchand s'est apprécié en cumulé de 10%. L'écart a été supporté par les entreprises, à travers une contraction des marges.

Emmanuel Lechypre