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Pourquoi la canicule donne un coup de froid à l'économie

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- - Thomas Oliva - AFP

INTERVIEW - L'épisode de grosses chaleurs que connaît actuellement l'Hexagone n'est pas sans dommage pour de nombreux secteurs. Décryptage avec Jean-Louis Bertrand, directeur scientifique de Meteo Protect et professeur de Finance à l'Essca.

Une semaine torride. C'est ce que connaît la France depuis lundi avec plusieurs jours de canicule qui ont permis de battre des records de chaleur, notamment à Paris, avec 39,7°C, la plus forte température enregistrée depuis 1947. Evidemment ce climat tropical n'est pas sans conséquence pour plusieurs industries, ni pour l'économie globalement.

Les détails de ces répercussions climatiques avec Jean-Louis Bertrand, professeur de Finance à l'Essca et directeur scientifique de Meteo Protect, assureur spécialisé contre le risque météorologique.

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- © Meteo Protect

> Quels sont les secteurs qui souffrent le plus de la canicule?

Le premier concerné est l'agriculture notamment en raison de l'échaudage (un phénomène d'assèchement des céréales et de la vigne qui abime la fructification en cas de grosse chaleur, ndlr). Les rendements chutent dès que la température dépasse un certain seuil, vers 26-27°C pour de nombreuses cultures. En 2003, la baisse des rendements lors de la canicule, qui a pu atteindre 50% sur certains fruits et légumes, avait coûté 4 milliards d'euros. Au sein de l'agriculture il y a également l'élevage. Les vaches, par exemple, ne produisent plus de lait car elles souffrent de stress lié à la chaleur. Les rendements laitiers s'effondrent en conséquence. Et plusieurs animaux meurent dans les élevages non climatisés, qui sont encore nombreux, où même dans les transports, passés 32-33°C.

Les entreprises qui doivent maintenir une température constante sont également touchées. C'est le cas dans l'agroalimentaire, dans les centres commerciaux, ou encore pour les sociétés qui ont des serveurs informatiques qui doivent être refroidis. Le problème est le coût de l'électricité qui monte en flèche. Leur consommation électrique augmente lors d'épisodes de forte demande énergétique alors que l'offre, elle, ne suit pas. Les opérateurs sont donc obligés d'aller chercher l'électricité là où il en reste et paient donc très cher. En 2003, le prix de l'électricité avait ainsi été multiplié par 4 pour certaines entreprises. Le BTP, enfin, est touché. Des chantiers sont suspendus car certains matériaux sont plus difficiles à utiliser voire inutilisables par de fortes chaleurs.

> Et le secteur public?

Les collectivités locales font dans le cas de fortes chaleurs face à des dégâts sur les voiries, les parkings, les réseaux électriques qu'ils faut ensuite réparer, ce qui a évidemment un coût. A titre d'exemple, en 2003, la facture s'était, pour EDF, élevée aux alentours de 300 millions d'euros au titre des dégâts sur le réseau de distribution électrique.

> Est-ce que cela a un coût pour les finances publiques?

Bien sûr car globalement la canicule occasionne une baisse de productivité extrêmement importante surtout dans les entreprises ne disposant pas de climatiseurs, qui sont encore nombreuses notamment au niveau des PME. Les employés sont obligés de travailler sur des horaires plus restreints ou alors multiplient les pauses. Tout ceci fait baisser la production et la productivité. Cela a évidemment un impact sur le PIB qui est pour le moment difficile à quantifier. D'autant que lorsque la canicule a lieu sur une courte période, des phénomènes de rattrapage peuvent avoir lieu, notamment sur les produits de nécessité (alimentation). Les répercussions ne seraient alors pas énormes. Néanmoins, la particularité de l'épisode caniculaire en cours est qu'il survient au début de l'été, à un moment où les entreprises tournent encore à plein régime, et pas dans la période creuse de juillet-août.

> Il y a-t-il des produits et des secteurs qui ressortent gagnant?

C'est le cas de l'eau, mais pas des boissons alcoolisés comme la bière car il y a des effets de seuil. Ainsi la consommation de bière est optimale entre 23 et 27°. Au-delà, il y a un ralentissement de la consommation et l'eau repasse devant. Il y a ensuite tous les produits de bien-être physique tels que les climatiseurs. Le problème est que seules les entreprises ayant encore des stocks garnis peuvent en profiter car dans le cas contraire, elles ne peuvent se réapprovisionner, les cycles de production étant très long sur ce type de produit. Il y a évidemment les crèmes glacées dont les ventes peuvent très bien progresser de 50% voire 200%, sur une semaine.

Concernant l'alimentation, l'impact peut être relativement neutre pour les distributeurs qui font preuve de souplesse, car les consommateurs délaissent certains produits (comme le chocolat) mais se reportent par exemple sur les salades. Ce dernier phénomène reste au final assez anecdotique. Enfin concernant les soldes, il est probable que les centres commerciaux situés dans un environnement climatisés aient des meilleurs résultats que les boutiques localisées dans les artères de centre villes où la chaleur peut être intenable.

> Comment doivent réagir les entreprises face à de tels phénomènes?

En l'espace de 20 ans, on a plus que doublé la variabilité climatique. Pendant longtemps on a eu des écarts de températures modérés. Mais aujourd'hui les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents. Face à ces événements, les entreprises ne peuvent plus se permettre de réagir en situation de crise, mais doivent être proactives et passer d’une situation de gestion de crise à une stratégie d’adaptation.

Une solution est de se couvrir avec des assurances indicielles météorologiques qui indemnisent les pertes de chiffre d’affaires ou les augmentations de coûts dû à des événements climatiques. Par exemple, un glacier peut souscrire une assurance contre l’impact du mauvais temps qui dédommagera ses pertes si le nombre de mauvais jours en été est supérieur à ce qu’il est habituellement.