BFM Business
Economie

Pourquoi les économistes spéculent sur les cravates de Draghi 

Que peut bien vouloir signifier cette cravate bordeaux?

Que peut bien vouloir signifier cette cravate bordeaux? - Daniel Roland - AFP

"Économistes et analystes ont un jeu bien particulier: tenter de deviner la couleur de la cravate que porte le président de la BCE lors de sa conférence de presse. S'il s'agit d'un simple divertissement, il faut néanmoins savoir que les banquiers centraux jouent parfois de codes pour donner des indices sur leur communication."

Les marchés auront encore les yeux rivés vers Francfort ce jeudi 10 mars. Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, va tenir une conférence de presse très attendue au cours de laquelle il devrait annoncer un renforcement de son "bazooka", le plan de rachat de titres sur le marché ("quantitative easing"), actuellement à 60 milliards d'euros par mois, l'équivalent du PIB du Luxembourg.

Mais avant même que Mario Draghi n'ouvre la bouche, certains observeront avec attention quelque chose de bien particulier chez le Romain: sa cravate. En effet, économistes et analystes de marché s'amusent à deviner la couleur de cet accessoire incontournable pour tout banquier central qui se respecte. 

#DraghiTieGuesses

Cette pratique ne date clairement pas d'hier puisqu'un cadre du cabinet Mazars en Irlande notait déjà, fin 2013, qu'il "y avait des discussions considérables sur la couleur de la cravate que pourrait porter Mario Draghi en conférence de presse".

Un hashtag (#DraghiTieGuesses) sur Twitter existe même pour répertorier les tweets sur cet exercice auquel se prêtent nombre d'observateurs. Ou même la très respectable chaîne d'info financière CNBC qui attribuait à chaque couleur un type d'action, début décembre Le rouge, par exemple, était la teinte qui "appelait à l'action".

Évidemment, réseaux sociaux aidant, c'est aussi l'occasion pour les économistes de s'amuser un peu. Michael Hewson, analyste chez CMC Capital Markets, tablait ainsi sur une cravate ornée de colombes.

Pour bien comprendre la subtilité de cette plaisanterie d'initié, il faut savoir que, pour faire simple, la colombe dans le jargon financier désigne un banquier central enclin à faire beaucoup pour relancer la croissance et diminuer le chômage, au contraire du "faucon" qui n'a qu'une chose en tête: maîtriser l'inflation.

"Un petit jeu"

Les économistes cherchent-ils sérieusement des signes d'éventuelles annonces en analysant la couleur de la cravate du 11e homme le plus puissant au monde (selon Forbes)?

"Non, bien sûr, il s'agit seulement d'un petit jeu qui est parti de l'observation que Mario Draghi porte souvent une cravate bleue, à quelques notables exceptions près", répond Frederik Ducrozet, économiste chez Pictet, qui s'est lui-même déjà livré à l'exercice.

Le président de la Banque centrale peut néanmoins, s'il le souhaite, taquiner les observateurs. "Michael Steen, le responsable de la communication de la BCE, a informé Mario Draghi que ce petit jeu (hashtag) tournait sur Twitter. Il est donc au courant", indique encore Frederik Ducrozet.

Mais quand bien même Mario Draghi aurait envie d'adopter "un code cravate", il lui serait difficile d'y parvenir. Pour une raison simple: l'Italien n'est pas seul à décider, la politique monétaire de la Banque centrale européenne faisant l'objet de votes auxquels participent les six membres du directoire de la BCE ainsi que 15 des 19 gouverneurs des banques centrales de la zone euro. "Mario Draghi a beau être en contact permanent avec certains des membres de la BCE, il ne les voit pas tous au quotidien. Le plus souvent, la décision et le vote, si vote il y a, sont donc pris au terme de la réunion du Conseil des gouverneurs à l'issue de long débats", confirme Frederik Ducrozet.

Le "code" de Jean-Claude Trichet

Cela dit, c'est parfois dans les détails que se cache le diable. Le prédécesseur de Mario Draghi, Jean-Claude Trichet avait ainsi un "code", c'est-à-dire des éléments de langage dans son discours qui permettaient aux initiés de savoir à quoi s'attendre lors de la prochaine réunion de la BCE. "Plus qu'un code, c'était une mécanique bien huilée. À chaque fois que l'expression "vigilance forte" apparaissait dans son discours, on savait qu'il augmenterait les taux de 25 points de base lors de la prochaine réunion de politique monétaire", précise Frederik Ducrozet.

Reste une question: pourquoi économistes et analystes s'amusent-ils sur ce genre de détail, a priori peu significatif? "C'est le prolongement sur un ton plus léger et relâché d'un sujet, beaucoup plus sérieux, qui consiste à décrypter les mots et les changements de communication pour anticiper les décisions de la BCE. L'exercice peut se révéler très subtil. Il suffit par exemple de repérer une expression qui, d'une réunion à l'autre, est déplacée dans le premier paragraphe du communiqué de la BCE, pour capter ce type de changement", considère l'économiste de Pictet.

Mais peut-être Mario Draghi succombera-t-il à la tendance du moment en Allemagne: ne pas porter de cravate. Les dirigeants de Continental et le patron de Daimler, Dieter Zetsche, sont ainsi récemment apparus sans cet accessoire.