Les Entrepreneurs et les andouilles
3 entrepreneurs ont lâché les chiens cette semaine. 3 aventures que les experts du cercle de la raison balaient d’un revers de main. Ils auront tort. Evidemment.
Jeff Bezos, le patron d’Amazon, nous promet des livraisons par drone dans 4 ou 5 ans. Depuis deux jours j’ai lu tous les experts m’expliquer combien c’était impossible. On me raconte que « la règlementation américaine ne le permettra jamais », que les drones « vont être déstabilisés par le vent latéral » (si, si, je vous assure), que c’est un « coup de pub » (ben oui, Bezos, il est connu pour ses coups de pub) , autant de réactions pavloviennes de pauvres hères affolés par la lumière du génie, tels les insectes des pierres que l’on soulève
Elon Musk a réussi à placer en orbite un satellite de télécommunications grâce à sa fusée Space X . Il promet de diviser par 2 les coûts de lancement. Elon Musk est un des fondateurs de Paypal, son autre aventure c’est Tesla, la première voiture électrique à se vendre réellement.
Bon, là, je dois avouer, le secteur spatial l’a toujours pris au sérieux. Je risque une explication : ces hommes sont au cœur des innovations de rupture, ils en connaissent les mécanismes intimes. Et puis la NASA appuie fortement Space X. ça aide.
Et puis Xavier Niel. Des trois aventures, c’est la seule que je connaisse vraiment. On va se concentrer là-dessus. « coup de pub », « il n’a pas de réseau », « une nouvelle attaque contre la filière ».
Les amis, je remercie ma consœur des Echos, Sabine Delanglade, d’avoir remis à la une les déclarations du patron d’AOL quand Iliad a sorti sa première box : « un homme vient de sauter du haut de la falaise, je ne suis pas obligé de le suivre » (regardez la video, c'est saisissant) 10 ans après, c’est bien AOL qui s’est écrasé. Je me dis que ça devrait vacciner tout le monde, et pourtant non, à chaque fois les mêmes sourires entendus, à chaque fois les experts narquois, à chaque fois les cris sur la « destruction de valeur ».
Mais de quelle valeur parle-t-on ? Ce que nous dit Free, tout à coup, c’est que la 4G est un gigantesque bobard ! J’en suis le premier surpris, je vous avoue, mais moi, à la différence de beaucoup, je fais confiance aux équipes d’Iliad. Est-ce qu’on peut comprendre ça ? A un moment prendre au sérieux des gens qui ont démontré leur capacité à remporter leurs paris.
On peut se plonger dans les chiffres si vous voulez : 5392 antennes 4G pour Bouygues, contre 700 pour Free. Bon. Une antenne vaut 100.000€ (site complet, à la louche), 500 millions pour se mettre au niveau. Free a investi 900 millions l’année dernière. Alors, il est où le problème ? Dans la tête de ceux qui continuent à penser que l’on peut sans arrêt reproduire les mêmes modèles économiques et faire avec la 4G ce qu’on a fait avec la 3G, la 2G… que sais-je, bref, nous faire payer 3 fois la valeur d’un service (si vous voulez le détail du plan, Free prend des risques limités, sachant que son parc d’abonnés n’est pas prêt de changer de téléphone, ça leur laisse du temps pour voir venir. Un mot de technique, les fréquences 4G de Free sont moins efficaces que celles de la concurrence dans les bâtiments. C'est vrai. Il reste combien de bâtiments sans wifi? Sunpartner vient de présenter un premier smartphone compatible LIFI, je vous la fait courte, ça veut dire que très bientôt ce sont les ampoules LED qui porteront le réseau)
« Un jour il faudra arrêter de prendre les Français pour des andouilles » nous dit Stéphane Richard. On est bien d’accord.
Allez, soyons pédants, convoquons Schumpeter et ses théories sur l’entrepreneur
1/ « un être inspiré qui assume l’incertitude »
Ok ? l’incertitude, plus que le risque.
Mais 2/ « il doit être suivi par des imitateurs ».
Tout le monde l’oublie celle-là. Le pari de Bezos, c’est que le secteur de la logistique va regarder de près son idée de drones (tiens, voilà UPS qui regarde. Coup de pub, encore ? Update, 10 décembre, Deutsche Post annonce la première réalisation réelle ) . Que très vite la poussée du business fait bouger la règlementation, mais alors il est le premier, il garde un coup d’avance et prépare le prochain.
Il peut se planter, évidemment. Mais pitié, c’est pas de la pub, c’est le culte de l’incertitude.
Xavier Niel pensait-il gagner si vite 7 millions de clients mobile ? Non. Et ça j’en suis sûr. Mais les imitateurs l’on suivi, se sont alignés sur ses offres, comme ils l’avaient fait avec les boxes, donc il doit continuer la course en tête. C’est simple, c’est pas de la pub, c’est l’incertitude.
Et c’est bien cela que doivent comprendre les acteurs qui leur font face. Depuis 18 mois, Orange doit nous sortir un plan stratégique, un cap, rien ne vient. Les offres 4G n’étaient qu’une illusion de valeur (et d’ailleurs, les dirigeants d’Orange l’ont toujours dit) . De même que la première offensive de Free Mobile a boosté comme jamais les investissements dans le secteur, celle-là va obliger à une révision salutaire. Il est temps.
On ne peut pas reprocher à ces entrepreneurs de regarder la vérité en face