L’empire contre attaque
Le défi : vous intéresser au mariage Lafarge/Holcim, dans le béton, le ciment, les granulats. Parce que ce mariage est riche d’enseignements passionnants
On fait bref
1/ la revanche du Nord. Juste avant la crise, il y a moins de dix ans, on ne jurait que par les groupes émergents. Mittal/Arcelor ou bien, plus fort encore, l’indien Tata qui rachetait Jaguar. Et la pensée unique s’installait d’un basculement du monde, de ces entreprises émergentes qui allaient avaler les anciens colonisateurs. Ça s’avère plus compliqué que prévu. Ces entreprises géantes, comme les pays qui les abritent, ont été rattrapées par des crises de croissances et des crises de gouvernance importantes. Aujourd’hui ce sont bien les entreprises de la vieille Europe, restructurées, parfois désendettées, qui apparaissent comme les poles de croissance les plus prometteurs.
2/ la revanche des géants. Il y a 20 ans la taille était un handicap industriel, on vantait la souplesse des acteurs légers mieux à même de servir le nouvel appétit du client pour l’individualisation. L’intégration des nouvelles technologies au cœur de tous les processus industriels a changé la donne, et maintenant la taille est à nouveau profitable. Mieux, elle seule permet de résoudre une équation complexe : tenir les prix sur des produits toujours plus performants. Car il en est du béton comme de la chimie par exemple, même les marchés émergents ne se contentent plus de « commodité », de produits bas de gamme. Les chinois veulent aussi le meilleur des bétons pour construire, et dans les défis environementaux actuels l’innovation fait à nouveau la différence
"les besoins en construction vont doubler d'ici 2025" vient de dire Bruno Lafont, et toute la difficulté de ce métier c'est de servir à la fois les géants et les petits constructeurs de maisons individuelles dans les pays émergents. Il faut faire du sur-mesure massif, et servir aussi le paysan indien qui va acheter un sac de ciment supplémentaire parce qu'il a fait une bonne récolte.
3/ Sortir de France. Quand est-ce qu’on commence à s’inquiéter ? Publicis est parti, maintenant c’est Lafarge. J’imagine la scène au cœur des négociations
« et, sur la localisation du siège social, on fait quoi ?
…..
Oui, pardon, où avais-je la tête »
(et là, s’ils sont charitables, les décideurs ont gratifié d’un léger sourire l’imprudent qui pose la question)
Parce qu’elle ne se pose pas la question. La France laisse tranquillement partir des groupes du CAC40 qu’elle n’aime pas. Comme elle a laissé partir des pans entiers d’industrie financière. Elle va réaliser trop tard la perte de substance vitale, de matière cérébrale que cela implique. Bruno Lafont n'a aucun mal à vanter la Suisse "qui a su faire croitre des groupes considérables dans tous les secteurs". La France en est-elle encore capable?
Voilà, il y a tout ça au cœur de cette fusion. Et plus encore : la vitesse à laquelle elle s’est nouée. Tout s’est joué en quelques heures. C’est le rythme du monde.