Christophe Kullman (Directeur général de Covivio, ex-Foncière des Régions) Eric Groven (Directeur Immobilier Société Générale Réseau France)
Les immeubles de bureaux se transforment pour être en phase avec les nouveaux usages. Les acteurs majeurs de ce secteur comme Covivio (ex-Foncière des Régions) investissent dans les métropoles pour créer de nouveaux lieux de travail.
Ne dites plus la Foncière des Régions, dites Covivio ! 21 milliards d'euros de patrimoine, 4ème foncière européenne. Pourquoi les foncières françaises sont-elles plus grandes et plus fortes que les autres ?
Christophe Kullman : En France, on a eu la chance de mettre en place avant les autres, en 2003, le statut fiscal habituel des sociétés immobilières cotées dans le monde, en copiant ce qui était fait aux États-Unis. Aujourd'hui, ce statut a été élargi à l'ensemble des sociétés européennes. Mais on a pris de l'avance et désormais, les sociétés basées en France gèrent d'une manière générale des patrimoines en Europe, dans le monde, de façon très importante. Nous avons la chance en France d'avoir des leaders européens.
Un bon statut fiscal, cela permet donc de construire des géants mondiaux ?
Eric Groven : Bien sûr, c'est un élément déterminant. En France, l'adoption de ce statut précocement par rapport aux autres pays européens a permis de construire des leaders européens, à partir de leur base française.
Vous avez fait le choix très tôt des métropoles, comme Paris, Milan, Berlin, pourquoi ?
C.K. : Parce que c'est là que l'activité économique se développe et nous avons choisi d'accompagner cette activité. Alors c'est Paris, Milan, Berlin, mais aussi Madrid, Barcelone, et Londres très bientôt.
Cela veut dire que ce sont des villes-Monde aujourd'hui et que rien ne peut arrêter leur croissance ?
E.G. : Je pense que c'est une tendance de fond d'évolution de l'humanité, qui voit ses peuples se réunir dans les grands espaces que sont les métropoles. La métropole du Grand Paris sera le chantier du siècle. Les villes deviennent de plus en plus étendues et de plus en plus denses.
Le chantier du siècle, déjà ?
E.G. : Nous sommes en fait dans la 3ème révolution urbaine d'Île-de-France. La première est celle du Baron Haussmann, sous le Second Empire, qui va révolutionner 60% de Paris. La deuxième est celle des villes nouvelles des années 60 et les infrastructures de transport qui vont avec.
Le Grand Paris, c'est 100 milliards d'euros d'investissement d'ici 2030, 200 km de voie, 68 gares dont 55 nouvelles. Nous sommes face à un chantier majeur.
C.K. : C'est un chantier essentiel et nous sommes très heureux qu'après autant d'atermoiements, on ait décidé de façon déterminée ce chantier du Grand Paris. Paris était malgré tout un peu en retard, par rapport à Londres ou Berlin par exemple, où les choses bougent beaucoup.
Que faut-il à Lille, Strasbourg, Nantes, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Marseille, etc. pour y arriver ?
C.K. : Certaines métropoles françaises sont aujourd'hui des métropoles européennes, comme Lyon qui a parfaitement pris ce chemin. Et nous le voyons bien en matière d'immobilier d'entreprise, avec l'organisation du territoire lyonnais et son développement rapide et efficace. C'est donc possible et pour cela il faut une réelle volonté politique organisée, ce qui a été le cas sur l'agglomération lyonnaise et un peu plus difficilement ailleurs.
E.G. : C'est fondamental pour l'attractivité internationale, qu'il n'y ait pas seulement le Grand Paris. Mais il faut quand même remarquer que les grandes métropoles se sont organisées dans un projet, comme le Grand Lyon, Euromed à Marseille. Autrement dit, il n'y a pas Paris et un désert français.
Mais est-ce qu'une métropole régionale aurait les moyens de réaliser quelque chose d'aussi important que le Grand Paris ?
E.G. : Probablement pas à cette échelle mais l'échelle de population n'est pas non plus comparable. C'est pour cela que Paris restera un poumon pour la France mais sera accompagnée de très belles métropoles. Et, heureusement, nos activités se déploient aussi en dehors du bassin parisien.
L'investissement dans les grandes villes est un investissement garanti ?
C.K. : Cela dépend des choix que l'on fait en matière de produits, de localisations, mais le développement économique des grandes métropoles européennes est inscrit dans l'Histoire. C'est pour cela que Covivio a fait le choix d'y investir.
Vous avez lancé votre propre marque de co-working, Wellio. Vous dites d'ailleurs plutôt "pro-working".
C.K : On le voit bien aujourd'hui, les façons de travailler évoluent. Les baux très longs dans des immeubles classiques existent toujours, et ça continuera, mais on voit beaucoup de clients qui souhaitent plus de flexibilité. Que ce soit dans la manière de travailler des équipes mais aussi dans la façon d'avoir un accord locatif. Ils souhaitent aussi être mêlés à d'autres entreprises. Nos clients sont principalement les grandes entreprises, nous souhaitons les accompagner dans l'ensemble de leurs démarches immobilières, quand elles cherchent un siège ou souhaitent intégrer leurs équipes à de nouveaux éco-systèmes. Pour cette raison, nous avons choisi de développer notre propre offre de "pro-working" ou "flex-office" qui répond parfaitement à ce besoin.
Les entreprises font le choix d'envoyer leurs collaborateurs dans ces nouveaux lieux d'innovation, comme un bain de jouvence ?
C.K : Oui, et cela se fait de plus en plus par l'immobilier, car c'est un moyen d'attirer des talents mais aussi de gestion et d'innovation. Par exemple, Orange, qui est le premier locataire de Covivio. Nous sommes en train de créer un "lab" dans un de nos immeubles du 18ème arrondissement de Paris. Orange libère une petite partie de cet immeuble, que nous avons transformé en espace de co-working, dans lequel Orange s'engageait à prendre la moitié de la surface en location ou en service. Et ce, afin que ses équipes soient mélangées avec un écosystème, lequel travaille avec Orange aujourd’hui.
Ce ne sont pas des concurrents directs ?
C.K. : Non, cela peut être des sous-traitants ou des gens qui travaillent avec Orange et qui peuvent apporter de nouvelles choses.
E.G : Je pense que les évolutions dont on parle, comme le co-working ou le flex-office représentent la façon dont nous répondons aux nouveaux besoins de travail de nos collaborateurs, en particulier les plus jeunes, la fameuse génération des millenials, entre 18 et 30 ans. Ils veulent plus de partage, recréer du lien social et travailler autrement. L’image de l’open-space des années 80/90 a un peu vécu. Nos collaborateurs nous demandent de travailler dans d’autres conditions. Nous y répondons en aménageant différemment les espaces et en leur offrant des espaces nouveaux, comme le co-working qui est un bel exemple.
Eric, ce qui est important pour vous, dans vos investissements, c’est la réversibilité
E.G. : Oui, car la grande différence avec les années 90 c’est que, auparavant, les immeubles de bureau duraient en moyenne 25 ans. Aujourd’hui, avec l’obsolescence des technologies, cette moyenne passe à 15 ans. Si on veut qu’un actif immobilier conserve sa valeur, il faut le transformer. Des bureaux aux logements, des logements aux résidences étudiantes, il faut que les bâtiments aient été conçus à l’origine pour être réversibles avec des plans étudiés de cette façon et des matériaux recyclables. Nous avons donc besoin de promouvoir cette réversibilité dès la conception de l’immeuble, de sorte à offrir une deuxième ou même une troisième vie à nos immeubles de bureaux.
C.K. : Il y a aussi une demande d’immeubles qui soient mixtes. Chez Covivio, nous travaillons sur un immeuble à Paris où il y aura un hôtel et des bureaux. Le mélange des usages est une des évolutions de notre secteur d’activités.
Pour en revenir à Covivio, l’équipe de management n’a pas changé depuis 10 ans !
C.K. : J’ai eu la chance d’être au début de l’histoire de cette entreprise, et j’ai pu construire mon équipe de direction qui m’accompagne depuis de nombreuses années. Ma plus grande fierté, c’est que près de la moitié des membres de mon équipe de direction a débuté sa carrière dans l’entreprise. Faire grandir les talents est un vrai objectif. Et nous continuons à le faire, l’équipe de direction reste ouverte.
C’est important pour un banquier une équipe dirigeante stable ?
E. G. : C’est essentiel, c’est ce qui donne du sens à la stratégie et incarne la valeur de l’entreprise. C’est aussi un actif intemporel et immatériel très important dans nos relations avec nos clients.