Bangladesh: le 11/09 de la mondialisation
Ne croyez pas que ce soit une gesticulation sans lendemain, ce qui se joue en ce moment au Bangladesh, c’est bien la bataille ultime de la mondialisation.
Le moteur : la réputation. Actif clé de l’économie moderne. Très exactement, élément indispensable à la puissance des marques qui sont, elles, l’actif clé de l’économie des entreprises du moment.
Là comme ailleurs, Apple a essuyé les plâtres. Depuis plusieurs années, je garde en archive la page Wikipedia qui fait la liste des suicidés de Foxconn. C’est le monument aux morts de cette bataille ultime (on remarquera d’ailleurs que le premier nom sur la stèle virtuel est celui d’une femme).
Vous connaissez l’histoire : des suicides, comme partout sur les sites industriels chinois à l’époque. Mais là, il s’agit du premier sous-traitant mondial de l’électronique grand-publique, et particulièrement d’Apple. Intolérable. Steve Jobs est encore le patron cool en col roulé noir qui arpente la scène de Cupertino en vantant son dernier jouet mega-cool. On ne peut pas tolérer que cet objet soit lié à des conditions de travail insupportables au sens propre.
Apple va payer ce qu’il faut, Foxconn aussi. Dégradation des marges, mais aussi des effets collatéraux profitables, comme la fidélisation des salariés (traditionnellement, à l’issue de la seule semaine de vacances des salariés chinois, 40% d’entre eux ne retournaient pas à l’usine, il semble que ce chiffre ait été considérablement réduit l’année dernière, ce qui avait d’ailleurs conduit Foxconn à réduire ses embauches, et amené des spéculations en série sur… la santé d’Apple et le niveau de commandes d’Iphones. Tout se tient)
On peut ajouter la pression sociale, qui empêche les sous-traitants de délocaliser aussi facilement qu’avant. Foxconn encore, a été le théâtre de mouvements sociaux importants nés des craintes de délocalisation d’une partie de la production vers l’ouest de la Chine)
Il va se passer la même chose au Bangladesh, parce que dans un secteur à ce point concurrentiel, aucune marque de sportswear ne peut envisager sans frémir de subir une campagne liée à des conditions de travail inacceptables. Et ce mouvement, forcément, entrainera les donneurs d’ordre « génériques » du fait de la pression sociale qui les rattrapera.
Les pistes de délocalisation sont de plus en plus rares. On nous dit que les chinois sont en train de s’installer en Afrique de l’Est, ils vont sans doute, là-bas, répéter toutes les erreurs commises ailleurs, avant qu’une catastrophe n’alerte l’opinion mondiale et n’enclenche un cercle vertueux
Nous entrons dans une phase de mondialisation rationnellement morale. Insistons bien sur le fait qu’il s’agit d’un choix rationnel. Il ne s’agit pas de relire Rousseau, de faire « le bien » parce qu’il correspond à notre état naturel, mais de le faire, parce qu’il est aujourd’hui une valeur économique indispensable. Il faut rapprocher cela des flux en augmentation constante sur l’investissement socialement responsable. Là encore, pour contrer la régulation, se donner des arguments contre la dénonciation de la « finance sans visage » , les investisseurs du monde s’achètent une conscience. Le mouvement est parfaitement cynique, c’est un gage de solidité