Chypre, mais vous rigolez ou quoi?
Oui je sais, si vous ne connaissiez pas Chypre il y a 10 jours, vous n’avez qu’un droit, celui de la fermer. Je ne connaissais pas Chypre il y a 10 jours, je vais quand même l’ouvrir
Parce qu’il y a là des éléments qui échappent à l’île et qui concernent tous les européens. Alors ne vous laissez pas faire. Vous en savez autant que bien des experts. Vous en savez autant sur la bulle bancaire invraisemblable qui avait gonflé là-bas, les rendements merveilleux qui étaient offerts à tous les déposants (un petit exemple en passant) et la masse des dépôts off-shore (tous les chiffres, tous les graphiques sont là, dans le formidable boulot réalisé par Olivier Berruyer)
Ok ? On est tous au point. Bon, alors maintenant, est-ce qu’on peut rendre hommage à la façon dont on a géré cette affaire ?
-« Quoi ? Vous rigolez ? On a vécu 10 jours d’une cacophonie incroyable et vous nous dites que c’est un modèle ? Vous n’êtes qu’un valet des classes européistes satisfaites ! »
Et bien non ! Je ne rigole pas. On a géré le chaos. Et ça n’est pas une mince affaire
En une semaine, on a détruit, sans panique, le système bancaire d’un des états membres. En une semaine, on a retiré une tumeur cancéreuse, en une semaine, on a plus fait pour le contrôle des banques que les dizaines de rapports qui s’alignent depuis le déclenchement de la crise
Si le chaos vous intéresse, allez voir ce qu’écrivent les chercheurs les plus avancés sur les organisations économiques mondiales que sont devenues les entreprises (Patrick Lagadec en est le meilleur exemple) : penser tout prévoir, c’est la meilleure façon de se planter. Si Fukushima a pris une telle ampleur, c’est que les japonais ont refusé trop longtemps de faire ce qui était absolument interdit, en l’occurrence verser de l’eau de mer sur un réacteur en fusion.
L’Europe, elle, a commencé par briser l’interdit absolu, la saisie des dépôts bancaires. Une déflagration telle que derrière vous pouvez avaler n’importe quoi. Je ne dis pas que c’était prévu, justement, je dis que c’est la bonne gestion du chaos. Commencer par l’inconcevable. Enfin, je dis, d’autres l’ont dit avant moi, et je les ai écouté
Est-ce qu’on peut comprendre ce que sont en train de faire les dirigeants européens ? Affronter une catastrophe économique sans précédent dans un ensemble institutionnel sans véritables frontières. Pourquoi se refuserait-on quelques mots ronflants ? Pourquoi ne dirait-on pas que la construction européenne est sans précédent dans l’histoire de l’humanité ? Ça ne vaut pas une semaine d’hésitation sur Chypre, ça ? ça ne vaut pas, d’ailleurs, une hésitation permanente à la mesure des mutations de ce monstre étrange qu’on appelle la crise ? Et il faudrait jeter aux orties cette construction humaine sans précédent parce qu’on traverse des années de chaos ? Il se trouve, et c’est là le point essentiel, que les dirigeants des pays d’Europe pensent tous qu’ils seront plus forts, unis, à l’avenir. Même le grec Papandréou a fini par le penser, même le chypriote a fini par le penser.
Mais je m’égare. Désolé.
On a quoi à l’arrivée ? Une accélération sans précédent de l’union bancaire, la faillite organisée d’une banque, une garantie des dépôts inférieurs à 100.000 euros, et surtout, surtout, cette notion de contrôle qui s’impose en force. Rien de cela n’était envisageable il y a 10 jours, justement.
La solution n’est pas dans la taille des banques, pas dans la segmentation de leurs activités, la solution est bien dans le contrôle, indépendant, intransigeant. Le mettre en place est une affaire considérable.
On condamne Chypre à la misère ? Je n’en sais rien, je l’avoue. Mais quel était le choix ? Quelle était l’alternative ? Ne pas laisser gonfler cette bulle bancaire ? Un élément, technique là-dessus : les dépôts étaient à ce point importants que les banques chypriotes pouvaient fonctionner sans faire appel au marché, sans émettre de dette, alors que, traditionnellement, les banques ont plus « d’emplois » (de crédits) que de « dépôts ». D’où les appels aux marchés, les « fonctionnements interbancaires » permanents pour combler ce qu’on appelle le « gap de liquidité » et les injections de la BCE quand le système se grippe. Chypre n’en avait pas besoin. Les organisateurs des « stress tests » avaient trouvé ça formidable. Tu parles ! (mais cela explique aussi que l’on tombe tout de suite sur la saisie des dépôts, parce qu’il n’y a pas de créanciers, ou peu)
La seule vérité de cette affaire réside dans le contrôle et l’intransigeance des sanctions
Ah oui, il y a aussi cette idée saugrenue que l'Euro chypriote ne serait plus tout à fait l'Euro. A cause d'une taxe bancaire? ça n'est rien d'autre qu'une forme de retenue à la source de l'impôt vous savez. Si çela suffit à casser l'union monétaire, alors l'Euro allemand n'est plus l'Euro depuis longtemps.
Croyez-vous sérieusement que l’on sente son argent plus ou moins en sécurité dans les banques européennes après cette affaire ? Je ne le crois pas. Chacun d’entre nous sait bien que l’on avance, en permanence, en terre inconnue. Que le précipice est toujours là, tout près. Que viendront d’autres crises après lesquelles on dira encore : « ils n’ont rien compris, bande de branquignols, nous ont géré ça comme des amateurs » , tout en poussant un réel soupir de soulagement