Dailymotion. Pourquoi Montebourg a raison
Parce qu'il sert ses propres intérêts d'actionnaire, qui sont, en l'occurrence, les nôtres
"mais enfin, pourquoi l'état se mèle-t-il de ça, ce ne sont pas des sous-marins nucléaires les videos de Dailymotion" me dit Charles Beigbeder. Et bien justement, parlons-en
On peut légitimement trouver cela baroque, mais il se trouve qu'en France l'Etat est encore actionnaire d’un certain nombre de grandes entreprises. Pourquoi? Pour garder un droit de regard sur leur stratégie.
Quels sont les secteurs sur lesquels il doit avoir une acuité particulière ? Les nouvelles technos, qui construisent l’économie du futur, et les gros secteurs de main d’œuvre, en ce qu’ils sont un élément important du consensus national.
Il se trouve que l’Etat possède aujourd’hui 27% du capital de France télécom. Je rappelle aux âmes sensibles libérales, qu’avec 27%, aujourd’hui, vous faites à peu près ce que vous voulez. Les actionnaires de référence d’Accor n’ont que 22% par exemple.
Et donc l’Etat, comme tout actionnaire privé, conduit la stratégie de l’entreprise dans laquelle il a investi, en fonction de ses intérêts, ses intérêts propres, pas forcément ceux de l'entreprise.
Parce qu'il se peut, et là encore, c’est le quotidien des entreprises cotées, que les intérêts de l’actionnaire et ceux de l’entreprise divergent. Dans ce cas, quoi qu’en pense Stéphane Richard, c’est l’actionnaire qui décide. C’est lui le propriétaire.
Dans ce cas précis, je ne suis pas sûr que les intérêts divergent, pour la bonne et simple raison que Dailymotion ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan des investissements de France Telecom. Donc, pour que les choses soient claires, penser que l’arbitrage d’Arnaud Montebourg fragilise en quoi que ce soit France Telecom, c’est se foutre du monde
Non, le sujet, c’est bien Dailymotion.
De quoi Dailymotion a-t-il besoin ? D’un partenaire connaissant parfaitement les enjeux du numérique mondial et ayant la puissance financière pour soutenir son développement, particulièrement aux Etats Unis.
Otez moi d’un doute, Orange… ils ne connaissent pas les enjeux du numérique mondial ? Ils n’ont pas les quelques millions d’Euros à investir pour la développer ?
Oui, mais ça n’est pas leur stratégie. Vous me direz, ils auraient pu s’en rendre compte avant de monter à 100% du capital. Vous n’auriez pas tort. D’ailleurs cette histoire semblait tellement étrange qu’on s’était dit un moment que c’était justement sur ordre de l’Etat que France Telecom avait pris le contrôle. Stéphane Richard le dément formellement. Dont acte (en fait, c'était pour prendre la place du FSI qui voulait sortir, ce qui revient peu ou prou à répondre tout de même à une injonction publique, mais bon...).
Voilà que se présente un acheteur: Yahoo ! Mazette. Ce n’est pas n’importe quoi, Yahoo. Dirigé par une ancienne de Google, le portail est en pleine revue stratégique. Ce n’est faire injure à personne que de dire que cette revue est loin d’être achevée. La question : « à quoi sert Yahoo ? » n’a pas forcément trouvé de réponse. En revanche la question : « à quoi sert Dailymotion ? » , elle, elle trouve une réponse : à diffuser des vidéos sur le web. Ils ne sont pas si nombreux à le faire, une grosse dizaine dans le monde, classement largement dominé par YouTube, propriété de Google.
Personne ici ne va contester l’intérêt d’une alliance avec Yahoo ! Le portail garde une audience considérable aux US, et Dailymotion intégré directement sur un tel portail bénéficierait d’une visibilité automatique très importante.
Bon, mais a-t-on besoin pour ça de lâcher 75% du capital ? Et d’ailleurs pourquoi Yahoo ! veut-il prendre 75% du capital ? Pour un contrôle total ? Dont acte.
Mais c’est là que l’Etat entre en piste. Et c’est là qu’il faut se mettre dans sa peau d’actionnaire. L’Etat, son souci, c’est la France. Evidence 1. Dailymotion n’a donc d’intérêt que s’il se développe sur une base française. Evidence 2. Si Dailymotion doit partir en Californie, ç’est peut-être parfait pour Dailymotion, mais pas pour la France. Evidence 3. Donc, moi Etat, je dois obtenir suffisamment de garanties pour garder la base stratégique de Dailymotion en France. CQFD.
(surtout que je n’ai, encore une fois, aucune garantie sur la pérennité de Yahoo ! je lis des pages et des pages ce matin sur le « partenaire solide » que représenterait cette boite encore en pleine dérive, et puis quoi encore ? On verra. Qui me dit, par exemple, que Dailymotion ne deviendra pas une simple boule dans un jeux de billard à 3 bandes entre Google, Yahoo ! , Facebook, d’autres encore ? Il est vraiment absurde le scénario qui verrait Dailymotion devenu "Yahoo video" sacrifié sur l'autel d'un deal global avec Google?)
Tous les grands managers me l’ont toujours dit : le seul accord qui vaille en matière de fusions acquisitions, c’est le contrôle du capital. Tout le reste, c’est du vent. Soit vous gardez une voix prépondérante, soit vous abandonnez toute ambition sur le devenir de l’entreprise. La négo a buté sur une question de parité, la France propose 50/50, Yahoo ne veut pas en entendre parler. Et là dessus les insiders de la négociation ont été très clairs, "même le deal à 75/25 ne leur plaisait pas, c'était vraiment un effort pour eux, un geste vers la France".
Pourtant, s’il s’agit de développer Dailymotion, où est le problème ? Au contraire, on partage les investissements, et puisque l'on a une ambition mondiale, garder Orange, et notamment sa puissance africaine, ça n'est pas totalement idiot. En revanche, s’il s’agit de s’acheter un atout, que l’on pourra sortir opportunément dans une partie de cartes entre géants californiens, là on comprend que ça puisse poser problème. Bref, à 50/50, on est moins libre de faire n’importe quoi.
Et c’est bien pour ça que je maintiens que l’Etat est parfaitement dans son rôle de protection des intérêts économiques de la nation en posant des conditions de contrôle. J'insiste, Dailymotion n'a d'intérêt pour l'état que s'il se développe en France.
(encore une incise. Dailymotion ne fait pas la une du 13h de TF1. Jamais on n’en parlera dans les bars de province. On peut donc penser qu’en l’occurrence le ministre Montebourg n’est pas dans la posture)
Je vous en prie, laissez tomber les réactions pavloviennes. Le pire en l’occurrence c’est d’être naïf et prévisible. Il manque encore trop de briques dans ce jeu pour en écrire le scénario. Mais au moins on a un gouvernement qui considère enfin que le numérique est un enjeu de souveraineté. J'en reviens à ma première ligne, on a un gouvernement qui nous dit que les videos seront peut-être, à l'avenir, aussi décisive que des sous-marins. ça n'est pas médiocre. Alors, il le dit sans doute avec maladresse. Mais il le dit.