l'affaire du PEA, contre ceux qui croyaient combattre la finance sans visage
Une mesure discrète et technique vient détruire des principes fondamentaux. On dépouille justement ceux qui se battaient contre la finance sans visage. Les conséquences seront considérables
Comment vous convaincre de lire ce qui va suivre ? Parce que le sujet est technique, parce qu’on parle d’actions, d’épargne. Je vous vois balayer le truc d’un revers de main, et pourtant, ce qui se joue là, c’est la construction d’un capitalisme raisonnable, ce qui se joue là, c’est la capacité des citoyens à faire confiance à l’Etat, ce qui se joue c’est l’idée même d’un destin collectif.
-Wow… z’êtes sur que vous n’avez pas fumé, là ? Tout ça dans un peu de prélèvement sociaux sur le PEA ?
-Oui. Tout ça.
Tout ça pour… 600 millions d’euros. A l’échelle de nos budgets publics, c’est la caisse d’une supérette de banlieue. On détruit des principes considérables pour braquer une supérette de banlieue.
D’abord, le vol. Pur et simple. La loi fiscale rétroactive. Le gouvernement a décidé que l’ensemble des PEA seraient soumis aux prélèvements sociaux au niveau de 2013 : 15,5%. Y compris les sommes déposés sur ces PEA il y a 5, 10, 15 ans, quand les prélèvements sociaux étaient 2 fois, 3 fois, 10 fois inférieurs. Vol à ce point caractérisé que des épargnants vont forcément porter le dossier devant la justice. Sans doute même en faire une question constitutionnelle.
Mais je vais vous surprendre. Je m’en fous un peu. L’essentiel est ailleurs
La confiance. Le carburant de la croissance. Parce qu’on a glissé ça dans les 136 pages du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Comme le diable dans les détails, sous le couvert d’une « simplification et d’un calcul plus juste ». En faisant cela on enlève tout crédit à la parole politique, qui, surtout, se garde de prévenir quiconque. Qui sait, on pensait peut-être passer en douce
D’ailleurs personnellement je n’ai rien vu, rien compris. J’ai justement balayé ça d’un revers de main, avant de me faire rattraper par la patrouille d’un certain nombre d’auditeurs/télespectateurs, scandalisés, à juste titre, qu’on ne monte pas au créneau là-dessus. Vous aviez raison, évidemment.
Mais reprenons. On vide donc de toute substance la parole politique en matière économique et, c’est là qu’est le crime, on assassine l’épargne longue. On commet un crime contre la vertu. La vraie. Celle des lumières du XVIIIème
Laissez moi vous expliquer.
Qu’est-ce que c’est qu’un PEA, surtout un PEA ouvert il y a dix ans ? Un risque important, assumé au nom de la confiance. Confiance en l’entreprise, en la croissance, en l’Europe, en la France.
On se souvient du climat financier il y a 10 ans ? Quoi de plus ringard qu’un PEA ? Plan d’Epargne en Action. Qui s’intéressait au PEA ? L’heure était aux leviers, aux produits structurés, à tout ce qui va nous mettre droit dans le mur. Ceux qui souscrivaient un PEA il y a dix ans préféraient manger le pain sec de l’entreprise, de l’économie réelle. Tiens, on pourrait presque dire qu’ouvrir un PEA il y a 10 ou 15 ans, c’était se battre contre la finance sans visage. Ce sont ces gens là que l’Etat a choisi de dépouiller.
Pourquoi c’est grave ? Parce qu’on ne les y reprendra plus.
Et c’est le troisième point, l’incohérence, pour ne pas dire la bêtise profonde de cette décision.
On sort d’une consultation qui fait l’unanimité, je veux parler du rapport Berger-Lefèbvre sur l’épargne longue.
Oui, unanimité, les banquiers, les assureurs, les gestionnaires d’actif saluent tous l’équilibre du rapport, la création du PEA-PME. L’idée que nos entreprises, petit à petit privées du financement des banques, vont aller trouver chez les particuliers, qui épargnent encore aujourd’hui en France 15% de ce qu’ils gagnent, de quoi financer leur croissance sur le long terme. C’est bien cette belle idée qui est la vraie victime du guet-apens
Comment croyez-vous que vont raisonner maintenant les épargnants ? Je vais vous le dire, ça sera vite fait : court terme, court terme et court terme. Investis dans le rendement le plus fort, prends tes gains au plus vite, essaie d’en mettre une partie à l’étranger, et seulement alors, tente à nouveau ta chance. Mais n’accorde plus aucune confiance à des gens qui sont capables de renier toutes leurs promesses, j’ai presque envie de dire, tout leur projet d’une économie collective raisonnable et solidaire, pour braquer la caisse d’une supérette de banlieue.