Libération, Darty, le commerce et les kiosques
Dans les résultats publiés par Libération, on trouve la trace d'une profonde révolution commerciale: vos anciens partenaires sont devenus des boulets qui vous fragilisent
C’est sans doute très bon signe pour la presse, la voilà dans le grand bain des biens de consommation.
Nicolas Demorand nous apprend en effet ce matin que dans le chiffre d’affaires de Libération, les abonnements dépassent les ventes en kiosque. Chaque matin, Libération livre plus d’exemplaires directement à ses lecteurs qu’il n’en vend par l’intermédiaire de détaillants. « cela change profondément la nature de Libération », dit-il, il a parfaitement raison, et cela est surtout une illustration de la révolution commerciale que nous sommes en train de vivre.
Demorand explique que Libération était « un quotidien de complément acheté de manière irrégulière (…) avec les abonnements nous fidélisons notre lectorat ». Mais que s’est-il passé pour que ce lectorat se mette à s’abonner ? On peut penser que la disparition des kiosques a joué un rôle. Or, Libération est beaucoup plus solide avec des abonnements qu’avec des acheteurs infidèles qui agissent au coup par coup. Conclusion, loin d’être un handicap, la disparition des kiosques est une chance pour la presse
Damned !! Attention, à condition d’avoir quelque chose à vendre. Et oui, il a tout de même fallu que les lecteurs se sentent frustrés de ne plus pouvoir acheter Libération occasionnellement, pour finalement décider de s’abonner. Si d’autres journaux n’ont pas cette chance, c’est bien leur contenu qui en est responsable, davantage que les circuits de distribution
Et c’est bien le cœur de ce qui est en train de se jouer dans le commerce des biens de consommation, ce qui condamne à mort les distributeurs multimarques (accélération qui frappe Darty, Virgin, The Phone House, la FNAC etc… à des degrés divers, avec des raisons et des réactions diverses, mais la trame est la même) : hier alliés indispensables, ils sont devenus des poids qui mangent une partie de la marge (parfois considérable, Darty prenait encore 50% du prix de vente d’un lave-vaisselle il y a deux ans) et dévorent la relation client.
On pensait qu’ils étaient un atout ? En fait, en multipliant les références, ils perdent le consommateur. On pensait qu’ils savaient vendre ? En fait, des produits toujours plus sophistiqués deviennent trop complexes pour des vendeurs qui ne peuvent suivre le rythme de l’innovation, face à des clients qui ont tout lu sur Internet. Surtout (et c’est moins vrai pour la presse) ils brisent le lien direct entre l’industriel et son client. Or ce lien devient indispensable à l’heure de l’individualisation croissante des produits de grande consommation.
Le fabriquant (de produits, de contenus) reprend le pouvoir. Le commerçant va devoir sérieusement réfléchir à son métier, alors qu’il se croyait indispensable il y a peu