Ne brûlez pas Carlos Ghosn
C'est l'un des procès publics les plus absurdes du moment. Et si l'on avait l'idée saugrenue de défendre le patron de Renault?
« Il n’aime pas Renault ». Point. Pas la peine d’aller chercher plus loin. C’est souvent là que la discussion s’arrête avec les spécialistes du groupe.
Alors, quand vous entendez ça vous cherchez des éléments tangibles sur lesquels s’appuyer pour nourrir une telle conviction: « il passe plus de temps au Japon qu’à Paris », ah bon ? Vous avez fait le compte ? Non… personne n’a fait le compte, « l’affaire des espions a prouvé qu’il avait perdu le contact réel avec l’entreprise », ah bon ? Ce n’est pas toute la boite qui est partie en vrille dans cette histoire ? « Il n’a porté aucune évolution réelle au cœur de Renault depuis des années », ah bon ? Et l’électrique, c’est quoi ?
-l’électrique, pfff… là je viens de vous donner la réponse ultime. Fin de la discussion.
Le but de ce billet n’est pas de défendre le choix électrique, je l’ai fait par ailleurs (ici), simplement on ne peut pas reprocher à Carlos Ghosn de « ne pas aimer Renault » et lui reprocher dans le même temps de faire porter par Renault sa conviction la plus profonde (Ghosn raconte l’histoire de l’électrique depuis 5 ans maintenant, toujours avec autant de passion). A moins de construire une histoire machiavélique dans le genre : « il sait que l’électrique va se planter, il le file à Renault pour la planter aussi »… à ce niveau-là, je m’incline.
Une stratégie sous contrainte
Est-ce qu’on peut regarder les choses en face ? Reconnaitre que l’automobile est sans doute l’une des plus cycliques des industries. Un cycle au carré. Le cycle industriel classique, auquel s’ajoute un cycle de consommation lié au produit. Une voiture marche ou ne marche pas. Cette dimension-là appartient à l’irrationnel. Or, quand Carlos Ghosn prend des responsabilités dans le groupe, on finit de solder le naufrage de la Vel Satis. Signée Schweitzer. Il n’aimait pas Renault, Schweitzer ?
Et dans le même temps, monte en puissance un concept dont personne n’avait anticipé le succès : Logan. Là encore, il faudrait des pages (elles sont là, dans un bouquin remarquable) pour raconter la collection de hasards qui, à un moment, devient une stratégie mondiale. Sauf que Ghosn comprend l’importance de cette carte. Il ne dit pas Logan, mais M0. C’est une plateforme. Elle s’appelle Logan, ou Dacia, ou même Renault. Tout dépend des pays. Aucune importance, c’est du marketing. L’idée qu’on « abîme la marque » avec du low-cost est une ânerie monumentale. 1/le low cost, c’est le secteur le plus profitable de l’alliance Renault-Nissan aujourd’hui. Cela veut dire, pour être clair, que c’est en vendant des voitures issues de la plateforme M0, que le groupe gagne le plus d’argent. Développer M0, c’est donner plus de force à Renault. Ce n’est pas de l’affect, ce sont des maths. 2/vendre du haut de gamme qui ne tient pas les promesses du haut de gamme est-ce que ça n’est pas abîmer la marque, ça ?
Pris dans la "tempête parfaite"
Je ne voudrais pas que l’on ait la mémoire courte : dans sa toute première conférence de presse, février 2006, Carlos Ghosn est ambitieux pour Renault comme personne peut-être « Contrat 2009, 26 nouveaux modèles en l’espace de 3 ans ». Bug : en 2007 se lève la tempête parfaite qui va balayer l’automobile américaine. Il aurait fallu continuer comme si de rien n’était ? C’est ce qu’a fait PSA.
Renault va devoir se mettre à l’abri, et qu’on le veuille ou pas, c’est Logan et Nissan qui vont la sauver. Comme Renault avait sauvé Nissan au début du siècle. Comme Renault sauvera peut-être encore Nissan dans 10 ans. Le cycle bon dieu !
Durant ces années de crise, l’homme qui « n’aime pas Renault », va lui construire l’assise internationale qui lui donne sa force, la dernière touche en décembre dernier avec le contrôle de Lada et l’ouverture sur le marché russe. Les ventes mondiales de Renault pèsent désormais plus que ses ventes européennes. Ce n’est pas un abandon ça, c’est une stratégie !
Alors, oui, il y a la France. Les usines françaises. 900.000 véhicules de capacité théorique, 530.000 véhicules produits en 2012. Pourquoi Renault reste-t-elle aujourd’hui l’arme au pied ? Bonne question.
La réponse c’est que lancer aujourd’hui, dans ce marasme de marché, des véhicules ambitieux, ce serait les condamner. Il n’est pas idiot, sachant que le groupe est en parfaite santé financière, de laisser l’orage économique se finir. Clio IV est là. Elle peut porter la marque en attendant des jours meilleurs. Le cycle, toujours le cycle. En jouer comme le surfer se joue de la vague. Faut qu’elle vous porte, pas qu’elle vous engloutisse.
Savoir si Carlos Ghosn aime ou n’aime pas Renault est un débat stérile. Reconnaitre que l’entreprise ressort encore solide de cette crise est une évidence. Désabusée, sans doute. Je ne me prononce pas sur le management interne, je n’en sais rien. Mais forte, désendettée, et même en situation de trésorerie nette positive pour environ 1 milliard, situation unique chez les constructeurs généralistes européens (à l’exception de Volkswagen, évidemment) appuyée par exemple sur une structure de financement (la « banque » de Renault) qui crache à elle seule 700 millions€ de résultat, parfaitement positionnée sur un marché russe plein de promesse.
Si ce n’est pas de l’amour, disons que ça y ressemble