Crypto-monnaies : et si le virtuel pouvait sauver le réel ?
Le Bitcoin, l’Ether ou encore le Ripple… Derrière ces noms se cachent des figures de proue de la crypto-monnaie. Dans les pays occidentaux, sa fonction se résume à de la spéculation. Mais dans certains pays à l’économie vacillante, la crypto-monnaie devient une véritable alternative.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), en 2018 le Bolivar, monnaie nationale du Venezuela, a connu une inflation de 1,37 million de pourcentage. D’après le porte parole de la Maison du Venezuela, association basée à Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine : « 10 pour cent de la population a quitté le territoire en trois ans ». Des chiffres qui montrent à quel point la situation monétaire est critique dans ce pays d’Amérique latine.
Pour se nourrir, deux solutions s’offrent à la population : se procurer des provisions en provenance de Colombie, obtenue en se rendant clandestinement de l’autre coté de la frontière. Une alternative très coûteuse car le prix des denrées y est astronomique compte tenu de la différence des devises (Peso colombien). Autre possibilité, se rendre dans les supermarchés d’État où les habitants sont contraints à des heures d’attente pour avoir accès à des rayons désemplis.
Sans qu’il soit possible de quantifier le phénomène, une majorité de Vénézuéliens a désormais recours au troc pour survivre. Le FMI réclame depuis trois ans au Venezuela des données sur son produit intérieur brut, sans succès.
"Il n'obéit pas aux lois de l'offre et de la demande"
Face à ces difficultés économiques, le gouvernement Maduro a décidé de lancer en février 2018 sa propre crypto-monnaie basée sur le cours du pétrole vénézuélien : le Petro. 100 millions de jetons ont été émis avec un prix de vente de 60 dollars à son lancement. « C’est une monnaie que l’on ne retrouve pas sur les places de marché », explique Lucas Klocanas, agent commercial à la Coinhouse dans le IIe arrondissement de Paris. Cette crypto-monnaie étatique a été mise en place pour contourner l’omniprésence du dollar sur le continent sud-américain. Cependant, le Petro s’est révélé être un véritable fiasco en raison de son mode de fonctionnement même qui, contrairement à nombre de devises virtuelles, ne repose pas sur la « blockchain », une technologie de stockage et de transmission d’informations sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Sous l’administration Maduro, les commerçants n’ont pas le droit de refuser un paiement en Petro, ce qui n’apporte aucune sécurité financière.
D’après le porte parole de la Maison du Venezuela Jean Mézil, une grande partie des pensions de retraites sont réglées en Petro, laissant malheureusement les seniors sans ressources. Un projet de pensions alimentaires également versées au Petro était prévu, mais sans succès suite à des protestations.
Le minage, une pratique souterraine
Pour une frange de la population, la crypto-monnaie représente une solution avantageuse mais risquée. Les Vénézuéliens utilisent la technique du minage pour s’approprier des Bitcoins et autres crypto-devises. L’opération consiste à valider une transaction, réalisée par exemple en Bitcoins, en cryptant les données et à l'enregistrer dans la blockchain.
Les opérateurs, particuliers ou entreprises, qui utilisent la puissance de calcul (de processeurs, d'ordinateurs ou de cartes graphiques) pour valider une transaction sont appelés "mineurs". Le Vénézuela est le pays dans le monde où le minage est le plus rentable. Sur place, faire un bitcoin coûte entre 500 et 550 euros en électricité. En France, la même opération revient à 6000 euros d’énergie employée. Les mineurs se réunissent dans des « fermes », pour centraliser le coût de l’électricité. Elles se situent à proximité de zones industrielles pour éviter les coupures de courant.
Ces pratiques sont bien évidemment réalisées clandestinement pour échapper aux agents du SEBIN (service national de renseignement bolivarien) et à leur racket organisé. La répression du gouvernement a commencé en 2016 avec l’arrestation de Joel Padrón, propriétaire de 31 ans d’un service de livraison à Valence. Il s’est servi d’ordinateurs conçus dans le but de miner du Bitcoin pour sauver son entreprise de la faillite. Une consommation d’électricité anormalement élevée a attiré l’attention du SEBIN. Il a ensuite été arrêté et emprisonné pendant trois mois.
La crypto, une chance de grandir
Selon Philippe Herlin, économiste indépendant et essayiste français, « il faut que les pays émergents favorisent l’accès aux crypto-monnaies ». Dans des économies très instables, le Bitcoin permettrait de pouvoir rester en contact avec le reste du monde.
En Afrique, le manque d’infrastructures se fait cruellement ressentir, en particulier dans le domaine bancaire. De nombreux habitants de pays tels que le Nigéria, l'Angola ou encore le Kenya sont partiellement ou fortement débancarisés. Cependant, avec l’essor de la téléphonie mobile et des crypto-monnaies, l’inclusion financière serait grandement facilitée.
En réaction à cette tendance, une crypto-monnaie panafricaine a été crée par une ONG suisse : l’Afro, qui a pour objectif d’accompagner le développement du continent. Les statistiques tendent à montrer que l’argent envoyé sur le continent par la diaspora contribue grandement aux PIB des pays. En 2017, près de 26% du PIB du Libéria provenait des ces envois. L’essor des crypto-monnaies, dont les transferts se font sans frais, peut dans cette mesure contribuer de manière importante à la réduction de la pauvreté dans certaines communautés.