Trottinettes électriques : un pari sur l'avenir ?
Le succès des trottinettes électriques en libre-service n’est plus à faire. Massivement implantés dans plusieurs villes françaises, les leaders du marché ne cessent de se développer et de nouveaux opérateurs se lancent régulièrement dans la course.
Le phénomène est incontournable. Depuis plusieurs mois, les trottinettes électriques en free-floating ont envahi les trottoirs de nos grandes villes. Lime, Bird, Bolt, Wind… les opérateurs sont nombreux et les utilisateurs ont l’embarras du choix. Preuve du succès des patinettes : la récente levée de fonds du leader en France, Lime, de 310 millions de dollars, qui valorise la marque à 2,4 milliards de dollars.
Depuis son arrivée dans l'Hexagone, le 22 juin dernier, l’entreprise américaine totalise, selon son general manager France Arthur-Louis Jacquier, "3.2 millions d’utilisations lors des 6 premiers mois", dont la majorité circule à Paris. Interrogé par le JDD, ce dernier affirme que la capitale française est "l'un des plus gros marchés de la trottinette en free floating au monde", ajoutant qu’il y a indéniablement "une appétence des Parisiens pour ce mode de transport".
De son côté, Kenneth Schlenker, directeur France de Bird, principal concurrent de Lime, analyse l’implantation massive des trottinettes dans la Ville lumière grâce au fait que "Paris est une ville propice à l'innovation en matière de micro-mobilité", et "connaît des problèmes de congestion automobile et de pollution de l'air, deux points auxquels grâce à nos trottinettes nous pouvons remédier".
"Je suis une vraie droguée"
Pouvoir conjuguer, en fonction du trajet à effectuer, les moyens de transport traditionnels avec la trottinette électrique est effectivement un des atouts majeurs des opérateurs. Une formule qui séduit bon nombre d’utilisateurs, à l’image de François, 28 ans : "La trottinette est un parfait complément du métro. J’ai quelques centaines de mètres à faire en sortant de la station la plus proche de mon lieu de travail. Il y a très souvent des trottinettes à proximité, ce qui me permet rapidement, et facilement, de rejoindre mon bureau."
D’autres clients admettent même ne plus pouvoir se passer de la patinette, n'hésitant pas à parler d'une forme d’addiction, comme Nathalie, âgée de 36 ans : "Je suis une vraie droguée (rires). Voir, le matin, ces enfilades de trottinettes dans les rues donnent très envie de faire quelques mètres au guidon de ces deux roues."
Une grande partie des trottinettes sont, en effet, retirées de l’espace public en fin de soirée, afin de procéder au rechargement des batteries et éviter d’éventuelles dégradations nocturnes. La maintenance est effectuée par des agents indépendants, souvent auto-entrepreneurs, qui remettent les appareils en circulation au petit matin.
De nombreux accidents
Mais les détracteurs de la trottinette ne sont pas non plus à court d’arguments. Nombre d’entre eux s’inquiètent et mettent en garde les utilisateurs contre les risques d’accidents. D’après une enquête de l’association américaine Consumer Report, 1542 cas de blessures, provoqués par un accident de trottinette, auraient été recensés aux États-Unis, depuis la fin 2017.
Et la France n’est pas en reste. Selon les chiffres de la Sécurité routière, relayés par Le Parisien en octobre dernier, 5 morts et 284 blessés en trottinette et en rollers (les deux modes de transport sont regroupés dans les statistiques) ont été comptabilisés, en 2017, dans l’Hexagone. L’année précédente, 231 blessés avaient été recensés, soit une hausse de 23 % en un an.
Les blessures les plus répandues sont des traumatismes crâniens et des fractures du nez ou de l’avant-bras. Pour l’économiste et urbaniste Frédéric Héran, spécialiste des mobilités, les dangers liés à l’utilisation des trottinettes pourraient bien "provoquer l’échec" de l’expansion et de la bonne santé économique des opérateurs. "C’est extrêmement dangereux. Contrairement aux vélos, qui ont des roues de grand diamètre, les petites roues des trottinettes peuvent se coincer dans le moindre nid de poule. Vous pouvez donc, à ce moment-là, basculer par l’avant et tomber. Le freinage de ces engins est, par ailleurs, très insuffisant", considère-t-il.
Frédéric Héran pointe également l’inconfort de conduite des patinettes : "Les usagers sont debout et, en ville, la trottinette tressaute énormément et on ressent tous les défauts de la route. Le moindre endommagement rend le trajet désagréable."
Uniquement dans les grandes villes
Implantés à Paris, Lyon, ou encore Marseille, les opérateurs semblent fuir, pour le moment, les villes de plus petite taille. Et ce, principalement en raison d'une rentabilité réduite. "Il faut une densité suffisante et une diversité fonctionnelle. Ce qui n’est pas le cas dans les petites villes. Si les gens habitent et travaillent dans une seule et unique zone, les trottinettes ne serviront qu’une ou deux fois dans la journée. Alors que dans les grandes villes, les trottinettes sont susceptibles d’être utilisées de nombreuses fois quotidiennement", souligne Frédéric Héran.
Malgré l'émergence de critiques, le marché de la trottinette ne connaît, décidément, pas la crise. De nombreux opérateurs souhaitent, encore et toujours, s’implanter en France. Le dernier en date : Flash. La jeune start-up européenne vient de déployer 500 engins, à Paris. L’entreprise ne compte pas s’arrêter là et prévoit de s’installer dans une trentaine de villes françaises, bénéficiant, en décembre dernier, d’une levée de fonds de 55 millions d’euros.
Selon un rapport dressé par le cabinet McKinsey & Company, le marché européen de la trottinette électrique en "free-floating" pourrait atteindre, d’ici à 2030, entre 100 et 150 milliards de dollars.