L’humanitaire, les coulisses d’un business touristique en vogue
Si l’intention des bénévoles est louable, le recours au voyage humanitaire à des fins touristiques est de plus en plus répandu et largement critiqué. Une parade marketing qui peut affecter les populations locales.
Le secteur de l’humanitaire a vu apparaître ces dernières années une pratique appelée «volontourisme international». Derrière ce concept se cache un dérivé des vacances solidaires qui comble le besoin de nouveauté de certains adeptes du voyage. Un business très lucratif censé répondre aux besoins vitaux de 125 millions de personnes à travers le monde, dont près de la moitié sont des réfugiés et des migrants. Les tour-opérateurs proposent ainsi des «circuits humanitaires», qui promettent de l’authentique, de l’atypique, et du théâtral. Autrement dit, les organisations de volontariat calquent de plus en plus leurs arguments de vente sur ceux des des agences de tourisme.
Lou Robleh, jeune étudiante en droit de 26 ans, dénonce l’intérêt croissant que porte le secteur marchant à l’humanitaire. Durant l’été 2018, elle décide, à travers le biais d’un organisme privé, de réaliser son rêve d’enfant en s'offrant un voyage humanitaire de deux mois en Inde. « Sur une semaine type, je passais trois jours aux contacts des enfants, les quatre jours restants, on m’emmenait faire des visites ou des randonnées » confie-t-elle quelques mois plus tard, toujours empreinte de déception. Encore sur les bancs de l’école, Lou souhaitait investir ses longues vacances scolaires à défendre une cause sérieuse et juste mais s’indigne des rouages de ces nouvelles usines à sous. « Je me sentais coupable en permanence, je m’éloignais de mon objectif de départ », reproche-t-elle encore aujourd'hui.
Un business lucratif
C'est parce qu'elle répond à un besoin de plus en plus exprimé par la jeune génération de se rendre utile auprès des populations défavorisées, que cette nouvelle forme de tourisme aiguise les appétits financiers. Et parce que les frais de fonctionnement des ONG sont élevés, il faut parfois recourir à des méthodes complexes inspirées du monde de la finance. Les marges de profit du « volontourisme » s'élèvent d’ailleurs à plus de 30 et 40%, nettement plus quand dans l’industrie du tourisme traditionnel.
Projects Abroad est l'un des leaders du secteur du volontariat humanitaire avec ses 10.000 bénévoles envoyés chaque année dans 27 pays d’action à travers le monde. Fondé en 1992, cet organisme vous propose de débourser 2000 dollars en moyenne pour vivre une « expérience extrêmement gratifiante » de deux semaines dans un pays « au choix ». « Having Fun », expression intégrée à la publicité de présentation du géant qui veut dire « S’amuser » semble faire perdre les valeurs éthiques, morales, solidaires de l'action humanitaire au profit des intérêts économiques de ce nouveau tourisme organisé.
Les couples s’y mettent aussi avec l’émergence du honeyteering (lune de miel humanitaire). « Ça rapproche et ça soulage » à lire les premiers témoignent sur les forums.
Des pratiques nuisibles et dangereuses
Mais ces vacances solidaires sont loin de faire l'unanimité chez les spécialistes de l'humanitaire. «Faire du tourisme en se sentant investi d’une mission, pour être gentil, pour jouer au père Noël avec des livres, des stylos et des médicaments disqualifie le voyage en lui-même. La dissymétrie du rapport rend d’emblée la rencontre impossible. Ce n’est pas de l’ouverture, mais de la condescendance», dénonce ainsi Rony Brauman, fondateur de Médecins sans frontières dans une interview à Libération. Ces séjours pourraient même faire plus plus de mal que de bien. « Cette machine de plus en plus grosse est en train de pervertir la notion même du travail humanitaire à l’étranger », souligne Gerba Malam, professeur et rédacteur pour l’Afrique en expansion.
En effet la monétarisation du bénévolat à un impact négatif: elle conduit à la pratique d’actes médicaux réalisés par des bénévoles non diplômées ou crée des troubles psychologiques chez des orphelins nouant des liens affectifs avec des volontaires aussitôt repartis. L’enfant est devenu « une attraction touristique » selon les ONG qui ont lancé des campagnes de dissuasion du volontouriste, à l’instar de Solidarités International.
Constat partagé par l’association franco-belge Service Volontaire International (SVI), qui dénonce un tourisme de la misère peu utile pour les populations et coûteux pour le volontaire. « L’objectif des agences de voyages n’est pas d’avoir un impact quelconque mais de vendre un produit » explique Pierre de Hanscutter, directeur de SVI. Plus grave encore, les orphelins sont « abandonnés encore et encore par les bénévoles qui se succèdent ».
Il y aurait finalement une inadéquation entre les besoins réels des populations et les compétences des volontaires. Certains vont même jusqu'à estimer que cette nouvelle mode fragilise l’équilibre financier des organismes qui aident réellement les populations dans le besoin. « Aider les réfugiés qui arrivent sur les plages italiennes et même assister un médecin en Afrique, s’occuper des nourrissons malades, aider les peuples en famine, c’est ça l’humanitaire », alerte Lou Robleh qui prévoit sa prochaine mission humanitaire via une ONG « sérieuse » cette fois.