Santé : pourquoi la téléconsultation peine encore à séduire
Depuis le 15 septembre dernier, la téléconsultation est remboursée par la Sécurité sociale. Dans ses prévisions budgétaires, le gouvernement avait tablé sur 500.000 actes de téléconsultation en 2019 puis 1 million en 2020. La téléconsultation est-elle réellement en pleine expansion ?
La téléconsultation est une pratique nouvelle amplifiée grâce au développement des tablettes et la démocratisation des ordinateurs portables. Les patients peuvent prendre rendez-vous en ligne sur une plateforme médicale et ainsi consulter à distance leur médecin traitant, en vidéo conférence. Le bénéficiaire doit décrire ses symptômes et envoyer les documents nécessaires à la téléconsultation (radios, résultats de laboratoire, photos). Le médecin peut ainsi prescrire des médicaments ou des soins en toute légalité et envoyer une ordonnance par mail. Le patient pourra ainsi se rendre dans n’importe quelle pharmacie.
Incontournable dans le secteur, Doctolib est aujourd’hui la plateforme de rendez-vous médicaux en ligne de référence. Depuis janvier 2019, la structure s'est lancée dans la téléconsultation et confirme son statut de champion sur le marché européen de la e-santé. Parmi ses concurrents, on retrouve Docavenue, Qare (soutenue par l'assureur Axa), MesDocteurs (liée au groupe mutualiste VYV) ou encore Livi, filiale française du Suédois Kry.
Les honoraires d’une consultation médicale par vidéo interposée sont les mêmes que ceux appliqués lors d’une visite traditionnelle. La prestation est facturée par le médecin au tarif de 25 €, même si certaines peuvent monter jusqu’à 30 €. Pour le patient, la prise en charge est la même que pour une consultation classique : 70 % sont remboursés par l’Assurance Maladie et 30 % par la complémentaire. L’absence de rendez-vous physique n’est donc pas pour le patient l’occasion de payer ses soins moins chers.
Dans cette pratique encore en développement, les professionnels tentent d’adopter quelques bonnes pratiques et règles simples, notamment concernant la sécurité des échanges avec le patient : « Les outils doivent être sécurisés. Il n’est pas question de faire ça sur FaceTime ou Whatsapp. Le téléphone portable n’est pas recommandé. On aime mieux un PC ou une tablette, » explique Lydie Canipel, la secrétaire générale de la Société Française de Télémédecine (SFT).
Michel Serin est médecin généraliste pour E-santé, un groupement de coopération sanitaire, en Bourgogne Franche-Comté. Depuis trois ans, ce généraliste utilise la télémédecine. « J'ai toujours intégré le numérique à ma pratique de médecin. Un appel à témoin a été lancé en région et j'ai testé ce nouveau dispositif.» « Nous ne sommes pas employés par les plateformes, » précise immédiatement Michel Serin pour qui il s’agit avant tout d’un outil pour les médecins. En moyenne, le personnel médical doit débourser 79 euros par mois pour être équipés en conséquence, notamment d’un outil vidéo sécurisé pour dialoguer avec leurs patients.
Plus largement, la téléconsultation trouve sa place dans la télémédecine qui permet au médecin généraliste de fluidifier ses consultations en trouvant le bon rendez-vous et la bonne date en fonction des problèmes rencontrés par le patient. Cette technique optimise le parcours de santé et le temps de prise en charge.
Un sondage réalisé par Harris Interactive indique que 86 % des personnes interrogées ont déjà entendu parler de la téléconsultation. Ces Français évoquent ses aspects « pratique » et « rapide », et la voient comme une solution aux déserts médicaux. Néanmoins, 37 % déplorent sa sous-information.
La majorité des sondés ignore que la téléconsultation est réalisée par un médecin diplômé. Mais surtout, 73 % d'entre eux ne se doutent pas qu’elle est remboursée par la Sécurité sociale. La moitié des interrogés pense qu’elle permet d’obtenir un rendez-vous à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit, et seuls 36 % considèrent qu’elle a la même valeur qu’une consultation classique.
Une pratique qui peine à séduire
Autre enseignement de ce sondage : nombre de patients indiquent avoir l'impression de ne pas bénéficier d'une véritable consultation via cette méthode. Seulement 52 % des Français se disent prêts à recourir à la téléconsultation. S'ils le font, ce sont pour des raisons peu graves, comme la demande d’un conseil médical, le renouvellement d’une ordonnance, la consultation lors d’une absence du domicile et l’indisponibilité du médecin traitant.
Michel Serin explique qu'il faut prendre des précautions : « En téléconsultation, les indications sont très limitées. Afin que la consultation gagne en crédibilité, le patient peut être accompagné d'une autre personne du corps médical, par exemple, d'une infirmière. Elle peut réaliser des examens en visio conférence avec le médecin ». Le praticien recommande fortement de toujours être accompagné lors d’une téléconsultation.
Le nouveau mode de consultation doit pour le moment s’envisager comme une solution complémentaire. E-santé et la majorité des plateformes en ligne luttent en effet pour un meilleur accès aux soins pour tous, y compris dans les déserts médicaux. « Il s'agit d'un parcours alterné, entre médecin et télémedecin. Le médecin généraliste décide pour son patient de son accès ou non à la téléconsultation, » précise Lydie Canipel qui ajoute qu’avant toute téléconsultation, le médecin doit rencontrer son patient au moins une fois par an.. Un discours confirmé par Michel Serin qui assure « ne prendre aucun nouveau client ».
Côté administratif, l’organisation de la téléconsultation tend là aussi à évoluer. Les médecins testent actuellement des feuilles de soin pour les remboursements. «On attend de voir comment on va s'organiser, » déclare Michel Serin qui reste prudent sur le sujet. Sur les plateformes privées, les praticiens ont déjà la possibilité d'être payés par carte bancaire.
Si en téléexpertise, les médecins reçoivent déjà une dotation de la part de l'Agence régionale de santé, qui les indemnise sur le temps supplémentaire passé à tester le matériel, l'organisation et la contribution, la téléconsultation en reste, elle, au stade des balbutiements de la dématérialisation. La technique se déploie lentement, la Sécurité sociale craignant une explosion des demandes, des abus et des dépenses engendrées.