BCE: bientôt la crise de Cuba
Mario Draghi a mis au point une arme de dissuasion d'une puissance inouÏe. L'histoire de la guerre nous apprend qu'il va devoir encore démontrer sa détermination à s'en servir
Il va falloir compulser les traités militaires parce que la bataille a changé de dimension. L’Espagne vient donc de réussir un test important en levant de la dette sur 10 ans dans de très bonnes conditions. Avant-hier, une étude nous disait que les investisseurs internationaux s’inquiétaient désormais davantage des déficits américains que des dettes européennes, une source bancaire de haut niveau me parle d’un « sentiment de retour de confiance en l’Europe, confirmé de la bouche de plusieurs investisseurs. Fragile mais net »
Vous connaissez le secret de cette étrange alchimie : le changement de braquet radical de Mario Draghi depuis la fin juillet et cette phrase qui entrera peut-être dans l’histoire : “ The ECB is ready to do whatever it takes to preserve the Euro “ (je vous ai mis un lien Bloomberg, parce qu’à chaque fois il faut regarder sa détermination, et puis le commentaire sur “Olympic Mario” m’a fait sourire)
Quand soudain l'enjeu devient l'Euro lui-même
Il faut aller au-delà de la simple technique financière. Tout le monde retient le « whatever it takes », moi je veux insister sur le « to preserve the Euro » parce que ces quatre mots ont permis à Mario Draghi de s’affranchir de toutes les règles, et notamment de ce fameux article 123 qui nous pourrit la vie depuis le début de la crise: « l’acquisition directe par la Banque centrale européenne des instruments de dette (des Etats membres) est interdite. Cet article assassin qui oblige à des manips invraisemblables à chaque fois que les pays les plus exposés voient leur dette leur coûter si cher qu’elle amplifie la récession qu’ils essaient de combattre.
Or, évoquer « la protection de l’Euro » change radicalement la donne ! Dans ce cadre-là, Mario Draghi a soudain décidé du jour au lendemain que les écarts de taux d’intérêts entre les différents Etats membres n'étaient plus le signe des déséquilibres de leurs finances publiques (là ça tomberait sous le coup de l’art 123 et la BCE ne peut rien faire) mais des anticipations de marché sur l’éclatement futur de l’Euro et les dévaluations qui s’ensuivraient.
Coup de génie ! Parce qu’alors vous pouvez ranger tous les traités puisque c’est l’existence de l’Euro lui-même qui est en jeu. Vous pouvez sortir « whatever it takes » tout en restant évidemment dans les limites du mandat puisqu’une Banque Centrale, avant tout chose, est là pour préserver la monnaie qu’elle émet.
L'arme de dissuasion
Attention c’est subtil, parce que dans ce cadre-là, Mario Draghi se dit qu’il ne peut racheter massivement que de la dette moyen terme (puisqu’il s’agit de contrer des anticipations sur quelques années) et pas la dette à 10 ans. Pourquoi ? Essentiellement parce qu’il a fallu passer des compromis avec les allemands. Encore plus subtil : il peut agir de manière illimitée (toujours « whatever it takes ») mais en promettant que la masse monétaire n’augmenterait pas. On va faire simple : ça n’est pas possible. On va faire encore plus simple : tout le monde le sait.
Alors ? Alors c’est là que l’on rentre dans le vocabulaire militaire. Jusqu’à maintenant on ne parlait que d’armes « tactiques » : « hélicoptère » pour Ben bernanke, « bazooka » pour Mario Draghi. Ce sont des armes du champ de bataille, des armes qui usent les armées mais ne vous permettent pas un avantage décisif. Avec « whatever it takes to preserve the Euro », confirmé par l’ensemble des mesures annoncées le 6 septembre dernier, on entre dans le domaine du “statégique”. Mario Draghi vient d’inventer l’arme nucléaire financière, et son corollaire : la dissuasion.
Bientôt la crise de Cuba
On théorise depuis 50 ans sur la fragilité de l’arme atomique : un homme serait-il capable d’appuyer sur le bouton et de prendre le risque de l’apocalypse ? On théorise, mais personne n’a voulu tester. La crise nucléaire la plus aigüe est sans doute celle des missiles de Cuba (ici) quand finalement, à quelques mètres de la catastrophe, la marine soviétique a choisi de faire demi-tour. Ma conviction c’est que la nouvelle dissuasion de Mario Draghi va devoir affronter une épreuve comparable.
Ce sera forcément compliqué, parce qu’il n’y a pas à proprement parler d’adversaire. « Les marchés » n’existent pas. Un jour une conjonction va se former, pour une raison encore obscure, sans doute involontaire, pour aller tester directement la volonté de la Banque Centrale Européenne, sa capacité finalement à totalement s’affranchir de l’ensemble des règles qui gouvernaient son action, bref, la réalité du « whatever it takes ». Dette espagnole ? Dette italienne ? Ou bien, le jour où l’on renoncera enfin aux délais absurdes de retour dans les clous du pacte de stabilité ?
C’est cette épreuve-là qui décidera de notre avenir. Avant cela, malgré ce sentiment d’une été indien sur les marchés de la zone Euro, on peut continuer, comme les américains des années 50, à creuser des abris dans le jardin