Bon alors, "choc" ou "trajectoire"? Les 2!
Depuis deux mois j'ai multiplié les entretiens sur le thème de la compétitivité. Le but de ce billet est de vous faire partager un certain nombre de témoignages, et d'en tirer une conclusion contestable. Mais le sujet est bien trop sérieux, pour être laissé entre les mains des économistes
C’est un titre de Houellebecq : « le Choc et la trajectoire ». Après deux mois de témoignages, ils se sont rendus aussi indispensables l’un que l’autre.
-Trajectoire, évidemment
Parce qu’un choc, quel qu’il soit, serait un « choc de fumisterie » ( Alain Madelin, 20 oct). Tout ce que je vais écrire là, je veux l’appuyer sur le concret, alors allons-y : Arc international aux premiers jours de septembre, l’un des premiers sites industriels de France, son principal concurrent est turc. Sur deux ans, Arc a fait des efforts considérables de compétitivité qui ont permis de dégager 10 à 15% de gains de productivité. Ils ont été balayés en quelques semaines par une dévaluation de la Livre Turque. Mener une bataille sur les coûts dans le désordre monétaire actuel (devant la perspective même d’une prochaine guerre monétaire au couteau), relève de l’utopie, ou effectivement, de la fumisterie
Gagner 1000€ sur une Clio
Renault, maintenant. Parce que ce débat s’est mené sur large fond automobile. Entre le Mondial et la nouvelle crise autour de PSA Finances. Carlos Ghosn devant les étudiants de la Sorbonne : « 1300€ de différence entre une Clio fabriquée en Turquie et une Clio fabriquée en France. Si l’on ramenait cette différence à 300€ nous pourrions à nouveau charger les usines »
Mais cette différence sur une voiture dont le prix de vente est de 9000€, est évidemment considérable. Vous imaginez la taille du « choc » sur le coût du travail ? D’autant que la main d’œuvre c’est 10% du prix de revient de la voiture. Cela veut dire que Carlos Ghosn pense aussi à ce qui reste de la taxe professionnelle, pourquoi pas à une réforme de l’impôt sur les sociétés. Un choc ? Une révolution, plutôt !
Alain Madelin, toujours : « D’une manière générale, les chocs qui sont décrits dans les différents documents disponibles vous évoquent un transfert de 30 à 50 milliards. En se limitant à l’industrie, vous arriverez à une baisse de 10% du coût du travail. Allez je vous en donne 15, c’est-à-dire 3 ans de gains de productivité pour une entreprise classique.
L’enjeu du choc n’est pas ailleurs. Autant le comparer à l’aspirine. Soulagement temporaire. Mais la douleur va revenir »
30 rapports officiels en 12 ans
J’ai décidé de vous faire grâce des 60 rapports écrits sur la compétitivité ces 10 dernières années, oui, 60 ! dont 30 émanent d’organismes publics. J’en ai lu, néanmoins, beaucoup. Les plus instructifs sur ce qui pourrait se passer dans les mois qui viennent sont sans doute ceux de Terra Nova (ici, écrit par celui qui est aujourd'hui directeur de cabinet d'Arnaud Montebourg, et qui était à l'époque directeur de cabinet de Louis Gallois chez EADS, avouez que ça doit donner des pistes) , et de Fondapol (ici) . La base de la réflexion du MEDEF sur un transfert de charges est aussi très largement disponible (ici)
J’ai décidé aussi de passer sur l’épisode Gaz de Schistes. Et pourtant ! La question des matières premières est une question centrale pour l’ensemble des industriels, et les « énergies fossiles non-conventionnelles » sont la principale clé de la réindustrialisation de l’Amérique. Un mot quand même sur les matières premières : ceux qui parlent d’une sortie de l’Euro pour provoquer une dévaluation, oublient le choc en retour sur le coût des matières premières. Pas sûr du tout que le jeu en vaille la chandelle.
29 septembre : Question à Jacques Rivoal, patron de Volkswagen en France (ici)
-si vous êtes compétitif, c’est que vous avez largement délocalisé et que vous vous contentez d’assemblage dans vos usines en Europe de l’Ouest ?
-il marque un temps de surprise, « nous produisons là où sont les marchés. Nous avons une centaine d’usines dans le monde, 50 sont des usines de fabrication, plus de 10 sont en Allemagne et en Belgique. Notre efficacité est ailleurs que dans la délocalisation, bien plus sur une standardisation maximum. On standardise tout ce que ne voit pas le client sur tous les modèles de la marque. On va très loin ». En préparant l’itw j’étais tombé sur un chiffre implacable : 145000 robots industriels en Allemagne, 33000 en France. Non mais, ce n’est pas un détail ça ! Le retard ce sont des dizaines (centaines ?) de milliards d’investissement. Pas un choc n’y suffirait.
Cette question est bien celle du capital, de la faiblesse des fonds propres. Durant ces deux mois le gouvernement a dégainé la Banque Publique d’Investissement et ses 20, 30, 40 milliards de fonds propres? Les chiffres ont valsé dans tous les sens, la danse continue encore. Oui mais, Stéphane Israel, le directeur de cabinet d'Arnaud Montebourg écrivait il y a 2 ans, que l'enjeu d'investissement c'est "l'équivalent d'un grand emprunt, 50 milliards... tous les ans". Oui, vous avez bien lu, tous les ans! Dans ces conditions, redonner de la visibilité sur 5 ans à l’ensemble des parties prenantes, ouvrir à nouveau la porte aux investissements internationaux qui regardent l’Europe aurait évidemment davantage d’impact.
Alors, va pour la trajectoire?
Je regarde les invités sur ce mois : Lamberet (construit des camions frigorifiques, installé au nord de Lyon, rentre de la foire internationale de Hanovre avec le Grand Prix de l’Innovation, devant Mercedes, sur ses terres), Gravotech (incroyable boite, elle grave, partout dans le monde), Gorgé (les portes les plus lourdes du monde, 50 tonnes la porte pour les EPR chinois), plus de 10 ETI industrielles, aucune n’a mis le coût du travail au sommet de la pile de ses attentes, toutes, absolument toutes, m’ont parlé d’un besoin de stabilité.
Le plus violent sera Guillaume Nusse, PDG de Clairefontaine(ici). Mais là encore ce ne sera pas sur le coût du travail, ce sera sur la « sécurité juridique » : « La France n’est plus un état de droit en matière industrielle. Les décisions de justice ne respectent même pas le code du travail. Plus jamais je n’investirai sur la reprise d’un site en difficulté, je me suis fait avoir deux fois, c’est fini » . Alexandre Saubot, Haulotte group : « dès que vous poussez un mur, vous avez affaire à la justice. Cela rend très difficile les arbitrages en faveur de la croissance »
Alors va pour la trajectoire ?
Le "choc" est indispensable
Non. Parce qu’aucun des industriels que j’ai reçu ne fait confiance au gouvernement.
Je l’écris brutalement. J’ajoute qu’aucun n’aurait fait confiance à quelque gouvernement que ce soit. C’est moins brutal politiquement. Ça l’est davantage en termes d’urgence.
Les séquences sur les « licenciements boursiers », sur la « cession obligatoire des sites industriels » ont laissé des traces considérables. N'oubliez pas que ces deux mois de débats, sont aussi ceux d’avertissements venus de groupes internationaux présents depuis de longues années dans ce pays. (ici)
Or la confiance ne se décrète pas, elle se gagne : seul un choc permettrait d’inverser les anticipations des industriels. Et je vais même aller plus loin, j’ai la conviction que davantage qu’un choc sur le cout du travail, c’est un choc sur la dépense publique qui pourrait servir de catalyseur! Pendant deux mois j’ai voulu entrer au cœur des sites industriels, pendant deux mois ceux qui dirigeaient ces sites n’ont eu de cesse de m‘en faire sortir.
« Je vais vous l’écrire, moi, le rapport Gallois » me dit l’un d’eux, « et je vais le faire productif : une seule page. Deux lignes bien centrées : « plan constitutionnel de réduction de la dépense publique pour la ramener sous la barre des 50% du Produit Intérieur Brut »
Mi-septembre, Thierry Breton : « réduire la dépense publique suppose que l’ensemble des agents de l’état soit mobilisé. Vous n’imaginez pas les difficultés. J’en avait fait ma priorité absolue, je suis arrivé à 0,7% sur un an »
Le grand danger de la trajectoire c’est qu’en fait il ne se passe rien. C’est que cette trajectoire aille, comme tant d’autres, se noyer dans les sables de l’inertie des cabinets et des administrations. Le grand danger de la trajectoire c’est la complaisance, le compromis permanent, et l’inaction paresseuse.
Voilà bien pourquoi choc et trajectoire sont aussi indispensables l'une que l'autre. Oui, c’est bien d’une trajectoire de compétitivité dont l’industrie française a besoin. Et cette trajectoire peut prendre bien des directions. Aucune ne doit être gravée dans le marbre. Mais seul un choc la rendra crédible aux yeux de tous ceux qui pourrait investir, IN-VES-TIR, du CAPITAL, condition essentielle pour se remettre dans la course