Défiance générique
Étonnant comme le médicament générique concentre l’ensemble de nos contradictions, nos atouts, nos faiblesses. Ceux du public, du « système », des entreprises
Etonnant parce que notre industrie pharmaceutique puissante et nos régimes sociaux en profond déséquilibre devraient faire de la France une base du développement du générique. Or il n’en est rien. Il y a même là-dessus une spécificité française, au regard de ce qui se passe dans les autres économies développées comparables (30% du marché en France, contre 50% en Allemagne/Pays-bas, 60% en Grande Bretagne,)
Et nous en sommes tous responsables. Je pense même que l’on tient là une parfaite illustration de nos blocages.
Chercher les responsabilités relève de l’œuf et de la poule, et donc la chaîne que je vais décrire n’est pas chronologique, c’est une simple construction logique, pour la clarté du raisonnement. Il n’est pas question dans mon esprit, en démarrant par exemple par le rôle joué par les médecins, de stigmatiser davantage tel ou tel acteur. Je crois même que les responsabilités sont assez largement partagées
-Mais commençons par les médecins, qui n’ont eu de cesse de se battre contre le développement des génériques, mettant en avant 1/ qu’on leur retirait une partie de leur liberté de prescription 2/ qu’ils ne faisaient que répondre à la demande de malades méfiants et inquiets
La situation est édifiante à l’hôpital (édifiant : Qui donne à quelqu’un le moyen décisif de s’éclairer ou de se faire une opinion). A l’hôpital le patient ne sait pas ce qu’on lui injecte (n’est souvent même pas en état de le savoir) et l’on sait combien est importante la première prescription de sortie puisque le malade aura tendance à la reprendre sur la durée du traitement. Et pourtant l’hôpital n’est pas un creuset de développement du générique (ni plus ni moins qu’en médecine de ville).
-pour comprendre il faut convoquer le deuxième acteur: l’industrie pharmaceutique.
Ah ! Si l’expression « cul entre deux chaises » a un sens, c’est là qu’elle peut s’employer. Certains labos français ne sont absolument pas au clair là-dessus. Pour un Servier qui a décidé de plonger à fond dans ce nouveau business, on a Sanofi, qui aurait les moyens, les molécules, les ressources industrielles pour devenir un acteur majeur et qui pourtant hésite. Et donc certains labos continuent à influencer les décisions des grands patrons des services hospitaliers, ce qui vaut quelques batailles homériques au sein des organes de direction, face aux pharmaciens qui tiennent les cordons de la bourse
Et s’ils hésitent, les labos, c’est que le troisième acteur, l’assurance maladie, leur en donne la possibilité
-troisième acteur de la chaine : pourquoi reste-elle au milieu du gué ? On a mis en place une mesure présentée comme coercitive, avec un nom barbare : tiers payant contre générique. Cela veut dire que si un malade ne veut pas utiliser le générique, il devra avancer les sommes nécessaires à son achat. On a bien dit « avancer », pas « payer ». Le médicament lui sera remboursé.
Et pourquoi donc ? Pourquoi la sécu rembourse-t-elle encore un princeps (c’est le nom du médicament original) quand le générique existe ? De deux choses l’une, soit le générique est l’exacte copie du princeps et alors il n’y a aucune raison de rembourser la molécule la plus chère, soit… il y a un doute ? Et on veut laisser le malade libre de son choix ? Mais alors pourquoi, très régulièrement, l’agence nationale de sécurité du médicament insiste-t-elle sur le fait que le générique est un « médicament à part entière, et qu’il n’y a aucune raison, aucune, de s’en défier (si ça vous intéresse, tout est là )
-car c’est bien l’acteur final de la chaîne qui se retrouve totalement perdu: vous, moi, nous, déboussolé, au terme de ces hésitations de l’ensemble de ceux qui devraient pourtant apporter des certitudes. Un acteur final, consommateur de médicaments, pétris déjà des certitudes profondes de notre société, qui met facilement de l’opacité et de l’inquiétude dans les phénomènes nouveaux « on nous cache tout, on nous dit rien ». Un certain nombre d’associations se faisant fort de donner une importance démesurée aux problèmes ponctuels et réels qui ont pu survenir sur l’épilepsie ou les maladies de la thyroïde. Et donc le malade se retrouve méfiant et inquiet devant son médecin généraliste… vous pouvez repartir au début de l’article (non, ne le faites pas, c’est une figure de style)
Mais les allemands, les anglais, les hollandais, ne meurent pas plus que les français. Semblent tout aussi bien soignés, pour un prix bien inférieur. Pourquoi le débat sur les génériques ne se résume-t-il pas à ces 2 lignes là ?
Parce que nous sommes un pays complexe, et que les temps modernes ont toujours bien du mal à s’y faire une place. Vous remplacez Génériques par Taxis, notaires, 36.000 communes etc… vous avez les mêmes systèmes de rente qui se sont développés sur la complexité et peuvent compter sur les élites pour les entretenir.
La question du médicament générique n’est pas une question de santé publique, c’est bien un symptôme de notre société de défiance